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6 octobre 2006 — 17 h 30

17 juillet 2008

La fameuse scène du triangle amoureux dans un bar

(enfin, amoureux, faut pas exagérer)

Une scène qui se répète et se renouvelle bien souvent, et à laquelle je prends toujours beaucoup de plaisir. Essayons de la décrire brièvement.

Les personnages : un couple, soit déjà établi, soit en éventuel devenir. Et moi, à une table qui fait souvent face à la jeune femme, l’homme me tournant le dos ou me laissant voir l’un de ses bras. Nombreux figurants (serveurs allant et venant, clients attablés, vaquant à diverses occupations, lecture, conversation, travaux ou oisiveté).

Je m’installe. Je la remarque bientôt. Ses yeux tombent sur moi un instant plus tard. Et c’est parti. La valse des regards, tour à tour fuyants et insistants. Les changements de posture désir pointé vers moi dévolu. Jeux de cheveux, de pieds, de mains. Tous les détails de la séduction non plus destinés au jeune homme en face d’elle mais à moi, un peu plus loin. Mis à part quelques menues variations dans le timing, l’évolution du système est quasi invariable.

Toutes ces manifestations de désir brut, animal, à peine voilà, vont croissant. Les épaules, les jambes croisées, décroisées, les regards inexorablement attirés et attisés. Les jambes s’écartent doucement, comme déjà humides et accueillantes, le visage tourné, encore vers moi, la plupart du temps un peu baissé, avec un regard d’en bas mystérieux. Comportements certainement en partie inconscients : qu’est-ce que je représente pour elle ? un fantasme ? un objet ? Une forme de liberté ou de tabou ?

Jusqu’à ce qu’elle réalise que la présence du type en face d’elle m’empêche d’y répondre. Invariablement, si je n’ai rien fait de plus que quelques regards et quelques gestes insignifiants pour communiquer mon intérêt, elle s’en retournera donc à son homme en face d’elle et se réinvestira dans l’affaire en cours, qui lui paraît à la fois plus accessible et plus tangible.

Il y a bien longtemps, installé à une terrasse lyonnaise, sur la place des Terreaux, je crois, j’ai écrit un petit texte, situation analogue.

« Par moments, à la terrasse d’un café avec lui, elle remarque un autre homme, souvent plus jeune, l’air plus mystérieux plus immature. Elle le contemple à la dérobée, par-dessus son épaule à lui, assis rêveusement en face d’elle. Ses yeux sans cesse ramenés à la beauté de l’inconnu. Les regards furtifs s’accentuent, s’accompagnent de sourires à demi. Il semble y répondre avec un intérêt teinté d’amusement et d’indifférence. Plongé dans son discours ou dans ses réflexions incessantes, lui, en face, ne remarque rien du manège.

Puis elle se reprend. Son rêve de fantastique s’évanouit doucement, comme à regret, son sourire s’adresse de nouveau à son ami, assis rêveusement en face d’elle. Elle se penche, délicate et mignonne, par-dessus la table étroite et instable, comme pour se noyer à nouveau en lui. Elle tend la main pour atteindre son bras, l’attire à elle et le caresse tendrement, envahie d’un plaisir plein, sécurisant. Se penchant encore, elle tâche d’atteindre ses lèvres. Elle oublie, forcée par sa peur intime et cachée, par son désir ambivalent de stabilité, le bel inconnu qui s’évanouit alors, reprend sa place parmi les autres inconnus interchangeables. Elle-même regagne son rôle, un sourire immense figé sur ses lèvres, cligne des yeux dans la lumière du soleil, pose de « petite amie », d’amoureuse. »



Dernier ajout : 28 mars. | SPIP

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