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Paris — 12 mai 2009 — 3 h 54’ 54’’

12 mai 2009

La pluie

On parle bien souvent — et moi le premier — de la grisaille parisienne et de la pluie qui l’accompagne fréquemment — "It’s very important. On your first day in Paris, you have to order yourself a thin rain and go for a walk... but no umbrella, never carry an umbrella in Paris" —, la pluie est toutefois bien rare. La vraie pluie, de celles qui tombent à grosses gouttes, de celles qui battent de grains en grains au large des côtes bretonnes, de cette vraie pluie qui mouille et dégouline.

Il est encore plus rare que je la surprenne au moment où je la préfère : au fond de ma nuit, sous mon toit mansardé. J’ouvre les yeux dans l’obscurité qui devient pénombre et j’écoute, les yeux grands ouverts — grands ouverts est une expression : rappelons-nous tout de même que je viens d’être éveillé par les bruits de la pluie, je grogne donc mon sommeil dérangé avec mauvaise humeur et mes yeux ne sont pas si écarquillés que ça — mais quand même, si, malgré ces circonstances et sous mon air bougon, mes yeux sont grands ouverts à ce moment-là, exactement comme ils étaient déjà grands ouverts, écarquillés de plaisir, sous la tente lors de nos randonnées en montagne, lorsque je sentais la présence chaude et rassurante de mes parents et de mon frère à côté de moi, dans une vallée quelconque de la Vanoise. La fraîcheur de l’altitude mêle nos haleines et la pluie sur la toile est là, envahissante, inlassable — j’écoute émerveillé, j’essaie d’y distinguer quelques rythmes, quelques basses provoquées par de plus grosses gouttes, j’en oublie de respirer.

Ce sont ces rythmes, cette voix de baryton-martin de la pluie que je retrouve cette nuit, alors que j’essaie de me concentrer sur J&C. Ces quelques gouttes anodines, qui d’ailleurs s’évanouissent à présent dans le silence (alors qu’une voiture se fait entendre en bas par son seul sillage sur le bitume mouillé), me détournent de cette silhouette au piano dans la torpeur du soir et de ce barbu prêt à la rejoindre — il y est presque, il arrive par le couloir qui vient de la bibliothèque où il vient de reposer un volume de Goethe (ou était-ce Schiller ? Qui le sait ? Pas même lui qui pense à présent à tout autre chose). Il s’est arrêté un instant et guette. Il s’aperçoit soudain que le piano qui a meublé tout son après midi s’est tu et sans qu’il s’en rende compte auparavant. Un silence est tombé sur la vaste maison qu’il ne s’explique pas. Il retient son pas sur ce lambris de parquet qu’il sait grincer et qui révélera sa présence à la pianiste.

Il croit entendre un soupir. Une page qui glisse.



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