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Allons-y

10 mars 2012

Allons-y, sans ambages, les oreilles vides et le crâne lourd, allons-y, de ce pas quelconque qui nous mène chacun vers le soir, vers ce soir qui tombe, lumineux, entre les hauts murs fiers et blancs de la ville coquille, allons-y, sans songer davantage à ces respirations, inspiration, expiration, inspiration, expiration, aussitôt oubliée, aussitôt remplacée par la suivante, identique à elle-même et pourtant, allons-y sans songer, aux éclats de bruits et de fureurs qui éclatent ça et là, échos cristallins démultipliés par le reflet au hasard d’une fenêtre double vitrage, triple vitrage, octuple vitrage, garantie confort, garantie silence, à jamais, garantie décennale aussi, sans doute, et peut-être concession éternelle garantie quatre-vingt-dix-neuf ans, allons-y, sans se soucier de tous ces traits d’union abandonnés sur la bord de la route, sur la route elle-même qui ne saura jamais défiler ici comme elle l’a su ailleurs, allons-y, du haut de toute sa hauteur, du haut de toute ma hauteur, arrogant et froid, allons-y, passé les jugements et les imbécilités, les mesquineries qui un jour bien sûr seront aussi miennes, allons-y, Obélix, Astérix, marchant côte à côte d’un pas bonhomme et dodelinant, traversant le gris trouble du paysage incertain, entraîné par la faune et la flore et ces quinze milliards d’années qu’on ne saurait porter, comme on dit une fois, allons-y, allons à la rencontre du lapin fluo et de la vache automatique, du petit lu émietté et de la miette illisible, allons se remplir les oreilles des geignements inarticulés du nouveau né à venir, allons-y, traversons l’ennui vers la folie, interrogeons-nous pourquoi l’avoir quittée, interrogeons-la, pourquoi t’es-tu écartée, la raison n’est pas plus heureuse, la folie au moins garantissait comme les fenêtres octuple vitrage un confort, un silence, une décennie avant le décès, allons-y, renions tant qu’on peut les oreilles vides et le crâne lourd, peu dignes au reste d’être considérés à leurs justes valeurs, et quelles valeurs, mais qu’importe, allons-y, vers ces imaginaires que tous veulent riches à défaut d’un mot meilleur, d’un monde meilleur, allons-y, je ne saurai plus te retrouver, toi, non, je ne te retrouverai plus, tu as passé, tu as cessé, tu as effacé ta trace, tant pis pour toi, allons se perdre, enfonçons-nous toujours plus loin, persévérons dans cette descente qui sans doute, on nous l’assure, nous fera voir un jour, passé le noir, la lumière moirée de la nuit, persévérons quand bien même l’espoir s’amenuise, creusons toujours plus, ce n’est plus un terrier, ce n’est plus un terrier, ce n’est plus un terrier, c’est une grotte, c’est une caverne, c’est un gouffre, c’est un abîme, qu’on prétend remplir à son aise, ou mettre, comme un pantalon, enfiler comme un pull ou un collier, mais, allons-y, il faut bien se rendre à l’évidence, ces murs calcinés, ce ciel de marbre, ce plancher pourri qui tangue sous nos pieds se dérobera aussi certainement que, allons-y, certainement que, allons-y, ne t’arrête pas, c’est loin l’Amérique, tais-toi et nage, bien sûr que c’est loin, bien sûr que c’est loin, sais-tu vraiment où c’est toi, l’Amérique, on y va allons-y, bien sûr que c’est loin et on n’est pas prêt, on n’est pas prêt, si, mais si, si, je suis prêt, alors allons-y, sans respirer, la tête sous le verbe, la tête sous l’oreiller de verbe, pour la vider, pour oublier ce corps qui s’oublie entre les draps et traîne, il traîne, il traîne, c’est tout ce qu’il sait faire, et quand il s’agit de bosser, de bosser, de corriger, d’aller de l’avant, il ne sait dire qu’allons-y, et ça ne l’avance à rien, finalement, il ne croise ni lapin fluo, ni petite fille grignotant sa petite livre de lu, il ne sait même plus à quoi peut bien ressembler une marelle, il essaie pourtant, il creuse sa mémoire comme il creusait le verbe il y a un instant, mais rien, nulle image de jaillit, il aurait mieux fait d’aller se promener à Venise, ou d’aller boire un thé, ça aurait bien mieux marché, c’est sûr, mais pourtant là, oui, là, oui, là, oui, il la tient, allons-y, il la tient, c’est une vieille photographie jaunie, prise un après midi de septembre, oui certainement c’était en septembre, il était si fier, si fier, à en rire presque, à faire résonner cette minuscule courette de la cascade rayonnante de son rire de gamin, de gosse, de petit garçon qui ne savait pas encore qu’il était insouciant, et allons-y avait dit l’autre, la maman, sans doute, allons-y, tu fais un sourire, et c’est là, cette instant, ce sourire édenté qu’avait saisi la pellicule sans doute égarée, perdue, détruite depuis par quelque feu indifférent et sans âme, avec, derrière le sourire fier de septembre, la minuscule marelle qu’un jour il avait du fouler de ses cloche pieds, de ses pieds joints, ou même de ses sautillements, oui certainement, et sans mordre la ligne à côté, pourquoi tient-il cette image, pourquoi tient-il à cette image, ces six ans, ce soleil, qu’importe, passons, allons-y.



Dernier ajout : 28 mars. | SPIP

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