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20 ans après

19 mars 2020

20 ans après, un rêve se réactive.
Bien sûr, il ne se présente pas pareil — pas du tout, même. Mais c’est le même sujet, ce sont les mêmes protagonistes, c’est le même sentiment d’inachevé, de désespoir au réveil.
Voilà l’histoire : voilà 20 ans, au lendemain d’avoir fêté ensemble, chez lui, et avec de nombreux autres amis, le nouveau millénaire, mon meilleur ami est mort. Nous avons su après coup qu’il avait une malformation congénitale du coeur — à tous égards, il avait le coeur trop gros, trop généreux. Personne n’aurait pu le prévoir et le prévenir, à moins de l’avoir testé — mais pourquoi aurait-on eu l’idée de le tester. À quelque chose, malheur est bon : connaissant les causes de son décès, ses frère et soeur ont été testés (heureusement négativement).
Toujours est-il que, du jour au lendemain, je perdais mon meilleur ami depuis le collège. Et quand je dis meilleur ami, je pèse mes mots : je ne compte pas les heures qu’on a passées ensemble à refaire le monde, à discuter de nos préoccupations plus ou moins intimes et affectives, à faire de la musique, à aller au cinéma, à partager un nombre considérable de choses.
Déjà, à l’époque, je n’étais pas très en forme. Profondément dépressif, même. Et cette disparition a, à bien des égards, été le coup de massue de trop.
Quelques jours ou semaines plus tard (je ne sais plus, mais je dois pouvoir retrouver), j’ai fait ce rêve [1] où je le revoyais, comme par enchantement. Je savais que nous n’avions qu’un mois. Un mois de répit. Un mois, peut-être, pour conclure nos conversations laissées ouvertes. Un mois pour profiter de lui, en sachant bien que ce serait les derniers. Et ce, cependant, sans qu’un poids tragique ne pèse sur ces semaines supplémentaires, ces cadeaux.
Je crois que c’est un rêve que les gens dans cette situation font souvent. Dans ses grandes lignes.
Alors voilà, peut-être que cette histoire d’épidémie a servi d’élément déclencheur, mais j’ai fait un nouveau rêve où je le revoyais. Et c’était comme s’il n’était jamais mort. Il avait déménagé, sans rien dire à personne. Il était parti s’installer dans les Alpes suisses, ou autrichiennes, que sais-je : je retrouvais sa trace par hasard, en faisant une recherche internet, sur google-maps ou quelque chose dans le genre.
Et nous nous revoyions. Et je lui demandais pourquoi il avait fait tout ça. Pourquoi il ne m’en avait pas prévenu, moi, au moins. Il ne me répondait pas, me considérait avec son regard doux et un sourire entre affection et ironie. Il était habillé de son inénarrable gros pull en laine blanc qui nous faisait l’appeler "Nounours".
Je crois que le rêve s’arrêtait là.
Je sais que je pleurais en me réveillant.

[1Voilà comment je consignais ce rêve, à l’époque : "Un mois pour profiter. Cette sensation qu’après sa mort une présence physique d’un mois viendra nous faire profiter de lui. Un mois de sursis jusqu’à l’absence exaspérante. Une ronde de concerts, de séances de cinéma, d’amitié vécue. Un mois de sourires. Un rêve dans le sens premier du terme. Mais dans ce rêve, aucune importance n’est accordée à l’issue, la fin de ce mois. Seule la présence est. Sa présence comme un besoin naturel."



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