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Jeudi 23 avril

23 avril 2020

Exercice contraint

« Prenez vos stylos, ouvrez vos cahiers !… En silence, s’il vous plait !… Alors voilà, exercice : trouvez-moi 36 aspects positifs de cette épidémie de Covid-19 ! »
36 ! Pourquoi 36 ? C’est moi qui ai choisi, arbitrairement. Quel imbécile ! N’aurais-je pu dire 10, 12 ou 15 ? Allons tant pis… 36.
1. Passer plus de temps avec ses enfants. Ce qui a un effet non négligeable sur notre relation…
2. Se délecter, chaque jour, des progrès que fait sa petite dernière : car ces progrès sont vraiment quotidiens ou presque : tenter de s’asseoir, y arriver, tenter de se lever, applaudir, rigoler, manger des morceaux, tester de nouvelles grimaces, faire des blagues… Je ne dis pas que j’aurais raté tout ça, mais le fait est que je peux en profiter à fond.
3. Avoir la confirmation indéniable de ne pas avoir la vocation d’enseigner. Je le savais, j’en ai la preuve absolue. Ce n’est pas pour moi. Et cela confirme aussi l’immense respect que j’ai pour ceux qui ont la fibre pédagogue.
4. Découvrir Paris (et l’Avenue de Versailles, et les voies sur berge) vide de voiture (autrement qu’en pleine nuit plein août).
5. Faire un grand ménage (électronique) de confinement.
6. Faire découvrir Chaplin à mes garçons, voir l’étincelle dans leurs yeux, entendre leurs rires.
7. Faire des câlins quasi illimités avec ses enfants.
8. Redécouvrir des disques.
9. Être épargné par l’odeur des couches, le temps d’une anosmie (cela a aussi des inconvénients : je ne m’aperçois pas toujours à temps qu’il faut la changer, et ne m’en rends compte qu’à d’autres signes : des râlouilleries, par exemple).
10. Tenir un journal. En lire d’autres.
11. Découvrir que l’on est capable d’écrire chaque jour sur des sujets quasi différents.
12. Discuter d’autres choses que de la Covid-19.
13. S’absorber à faire des lessives tous les jours : c’est étrangement ressourçant !
14. Renouer avec une démarche scientifique (en démêlant les diverses études et autres), se rappeler combien on aime ça.
15. Se découvrir des réserves insoupçonnées d’empathie, une capacité d’écoute bien plus importante qu’on le croyait (c’est ma compagne qui m’en a félicité et j’avoue que je ne m’y attendais pas : je ne me vois pas comme ça du tout ces jours-ci, tant je suis à fleur de peau).
16. Le sentiment de communion lorsqu’on applaudit les soignants (et ma compagne avec) tous les soirs à 20h.
17. Nouer, grâce à cela, des complicités, voire des amitiés ineffables (au sens premier du terme) avec nos vis-à-vis, par-delà l’abyme de la rue.
18. Prendre le temps de parler de tout et de rien avec les commerçants.
19. Découvrir l’une des caissières de notre petite supérette en train de lire un livre différent chaque jour : Stendhal, Flaubert, Barjavel…
20. Essayer par tous les moyens de se perdre à moins d’1 kilomètre de la maison (pas facile, je n’y suis pas encore arrivé, mais je persévère).
21. Prendre le temps de répondre à toutes les questions, graves, profondes ou anecdotiques, qui passent par la tête de mes garçons.
22. Voir une véritable complicité se nouer entre mes enfants (même si cela présente, là encore, quelques inconvénients parfois, surtout quand ils font semblant de se battre, ou qu’ils veulent inclure leur sœur dans certaines acrobaties).
23. Constater que la famille se soude plus encore pendant cette période.
24. Comprendre un peu mieux ma fille de presque un an au ton de ses râlouilleries, voire au premier son qu’elle émet.
25. Voir mon aîné se plonger longuement dans les plaisirs de la lecture.
26. Découvrir des trésors et des talents cachés, pas très loin de moi.
27. Constater que, jusqu’ici du moins, on a été capable de survivre à tout cela — ce qui n’était pas donné, et ce qu’on n’imaginait pas forcément au départ ! Comme quoi, l’être humain est étonnant.
28. Passer du temps avec ses enfants — je sais, je l’ai déjà dit, mais on passe vraiment beaucoup de temps avec ses enfants.
28 bis. Perdre du poids : j’ai perdu plus de 5 kg pendant la maladie.
29. Renouer avec des amis avec lesquels on n’a pas parlé depuis trop longtemps, et puis on a le sentiment qu’on a trop laissé passer le temps, que ça paraitrait incongru de les recontacter, alors que non, pas du tout.
30. Découvrir des facettes très sympathiques et qu’on ne soupçonnait pas forcément chez certains collègues.
31. S’apercevoir que, si, on y est arrivé, et vite en plus, à trouver une nouvelle routine qui intègre tous les bouleversements.
32. Être confiné, être obsédé par l’évolution de la maladie, s’abreuver d’articles sur ce seul sujet, permet d’une certaine manière, de faire l’autruche quant à la suite : aux imbécilités humaines qui ne manqueront pas de s’exprimer bride abattue sitôt qu’elles le pourront. (Bon, d’accord, cet aspect n’est pas précisément positif.)
32 bis. Échapper à certaines réunions inutiles.
33. Découvrir que les gens sont quand même capables de s’apercevoir qu’il y a des métiers plus essentiels que d’autres. Se dire que, peut-être, ces métiers seront mieux reconnus et rémunérés à l’avenir, et que les bullshit jobs disparaitront peut-être (on peut toujours rêver).
34. Pouvoir raconter tout ça à ses petits-enfants et leur dire : « J’y étais, et oui, mon p’tit gars. » (Corollaire : pouvoir dire, dans trente ans : « Ah, ces jeunes, ils ne mesurent pas la chance qu’ils ont. Ce qui leur faudrait, ce serait une bonne petite pandémie ! »)
35. Apprendre à se satisfaire des plus petites victoires — sur la bureaucratie, sur la mesquinerie, sur l’injustice, sur la maladie…
36. Faire des exercices contraints parfaitement débiles, mais relever le défi néanmoins.
37 (subsidiaire). Apprendre à se concentrer sur ce qu’on peut maîtriser au présent, et ne pas tenter d’avoir prise sur ce qui n’en a pas.
Et toi, qui me lis, à quoi ressemble ta liste ?



Dernier ajout : 28 mars. | SPIP

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