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5 février 2007 — 23 h 23

Une larme furtive

mardi 5 août 2008, par Jérémie Szpirglas

Un vieil homme assis en face de moi. Me pose quelques questions. Face bonhomme, sourire avenant. De bons yeux tout ronds sous un front large. Besoin de parler, s’est pris d’une soudaine, éphémère et brûlante, sympathie pour moi. Démesurée aussi.

Il n’est pas triste. Plaisante tente de provoquer par quelques raisonnements un peu limites mais clairement ironiques, et somme toute bien innocents.

Me parle des surréalistes. Une passion de jeunesse. Il connaît tout sur eux ou presque. Passionnant.

Cynisme face à la vie. Aucun espoir en lui. Ne l’empêche pas d’avancer.

Larme furtive.

Larme furtive quand il parle de la mort, à laquelle il affirme pourtant penser quotidiennement depuis l’âge de 7 ans.

Me dit quand on a connu la guerre étant enfant, on ne peut pas ne pas porter sur le monde un regard fataliste.

Me raconte quelques anecdotes désolantes, autant sur l’occupation que sur la résistance.

Une bombe qui n’a pas explosé mais a détruit quand même l’appartement d’un de ses camarades de classes (dont le père avait une précieuse collection, endommagée par l’incident).

Des maquisards stupides qui exécutent un alsacien malgré nous déserteur.

(et bien d’autres histoires dont je ne me souviens pas mais que je pourrais retrouver)

Se défend de se plaindre mais prend un ton un brin mélancolique. Je pense à mes grands-parents, leur expérience, leurs souvenirs

Les camps

Ceux qui ne sont pas revenus

Larme furtive

Vient-elle des réminiscences ? du verre de whisky en trop ? de la fatigue ? de ce fameux fatalisme qui, malgré ses postures d’anarchiste pessimiste, ne l’empêche pas d’avoir rêvé autre chose ? — des enfants, d’un monde autre à laisser derrière soi —

Larme furtive. Larme surréaliste ? Non. Je ne lui ferais pas l’affront de la qualifier ainsi, lui qui dénonce l’usage à tort et à travers de ce précieux adjectif. Larme optimiste, alors ? Elle me donne à moi un amour pour lui que je n’aurais peut-être pas eu. Un amour pour cette part d’humanité et d’espoir en lui. Cette part d’humanité bafouée, d’espoirs déçus, en chacun de nous peut-être.