J&C
mardi 5 mai 2009, par
C’est décidé, un jour, je l’écrirai. Ça se passera dix ans après la mort de l’autre, ou peut-être non, peut-être un peu avant, alors qu’il est encore vivant mais, cyclothymique et schizophrène, interné, les a laissé eux, les autres, ceux qui vont survivre, seuls avec les enfants dans la grande maison au bord du fleuve où, un jour, il a tenté.
Je ne sais pas exactement comment ça se déroulera. Serait-elle particulièrement triste ce jour-là ? Pensive au piano, relisant une lettre accompagnée ? Particulièrement triste et vulnérable, elle pourrait l’appeler, lui qu’elle considérerait presque comme son fils, n’étaient son ambition, son amitié faite d’amour filial et de vénération envers son mari, et cette ardeur dans ses yeux à chaque fois qu’elle joue, la nuque découverte ployée gracieusement alors que ses doigts courent sur le clavier.
Elle pourrait l’avoir appelé, oui. Elle aurait été là, encore, au piano, dans la pénombre du soir — elle n’a encore allumé aucune lampe, elle a joué tout l’après midi les yeux clos, un carnaval sous les doigts, ou une scène d’enfance dans la tête. Elle est mélancolique, ses épaules sont lourdes, elle est fatiguée — et le petit qui nous a fait une otite ce matin, et qui nous a empêché de penser à l’autre, de sortir même, pour le voir, on espère qu’il comprendra, que ça ne le fera pas plonger.
Alors elle l’aurait appelé. Sans prétexte — il n’en est nul besoin ici. On s’appelle pour se tenir compagnie, pour discuter ou discourir, ou peut-être même pour jouer un petit quatre main — mais ça, non. Non non non. Le quatre main, elle en a de tels souvenirs avec l’autre, ce serait sacrilège que de refaire ces mêmes souvenirs avec celui-ci, quand bien même ce serait son élève, son ami, son disciple, son fidèle, et un génie lui aussi — elle le sait bien que c’est un génie. Au début, elle ne voulait pas le voir, ne voulait pas l’accepter. Parce qu’elle n’acceptait pas ses yeux de braises, ses airs de bel homme séduisant qu’il se donnait, bombant le torse même quand il était au piano. Elle n’aimait pas sentir son désir d’elle, ou peut-être simplement n’aimait-elle pas ce sentiment secret qui lui interdisait jusqu’à la pensée même de lui céder. Mais cette fougue dans sa musique, ce lyrisme, cet esprit brillant et audacieux. Ça oui, c’était un génie.
À suivre, je suis trop crevé...