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Lundi 11 mai

Back to business as usual

lundi 11 mai 2020, par Jérémie Szpirglas

Quelque chose devait changer. Quelque chose doit changer. Aujourd’hui.
Quelque chose aurait dû changer.
Est-ce que ça aurait dû changer dès maintenant ? L’après, ça commence quand ? Le changement, c’était vraiment maintenant, hier, avant-hier ?
Papa, c’est loin l’Amérique ? Tais-toi et nage.
Au passage, j’avoue que j’aimerais bien y être, moi, au milieu de l’Atlantique — pas à la nage sans doute, mais tout de même.
Et, d’ailleurs, c’est quoi, le changement ? C’est quoi, un monde qui change ? À quoi on le voit ? Peut-on le ressentir vraiment, de manière palpable ? Combien de temps avant de voir les effets d’un monde qui change ?
Alors voilà. Rien ne change.
Pour les uns, on reprend la routine d’avant : rien ne change, on oublie la parenthèse d’oisiveté, aussi désagréable eut-elle été : la résilience est là qui les rappelle à leurs atavismes et autres égoïsmes.
Pour les autres, on continue comme ça : rien ne change, en première ligne. Et on oubliera bientôt qu’il y en a, des gens, en première ligne. On les rangera dans un coin de la mémoire. Comme les poilus de 14, auxquels on accordait encore il n’y a pas si longtemps une petite pensée empreinte d’indifférence, tous les 11 novembre. Cela ne nous concerne plus, tout ça. On sait qu’ils se sont battus, mais on sait aussi pourquoi et pour qui ils se sont battus, et cela dévalorise leur sacrifice, quand bien même ils n’y étaient pour rien et ne l’avaient pas réellement choisi. Même chose ou presque pour nos premières lignes contemporaines : j’espère qu’on continuera encore un peu à les applaudir tous les soirs. Au reste, soyons sérieux, ces applaudissements sont-ils encore un hommage aux soignants ? Ou une forme de communion, un lambeau de sociabilisation auquel on se raccroche encore mais qui, sitôt la routine revenue, deviendra aussi inutile qu’une énième élévation pour un agnostique.
Les motos, voitures et camions ont renoué avec leur ballet sans grâce, les services des espaces verts de la ville ont repris leurs tronçonnages et étêtages sur l’avenue, les passants s’interjectent, tout un brouhaha familier monte à nouveau de l’urbs — et c’est son retour qui nous fait nous rappeler du bonheur de son absence, qui nous avait presque échappé.
Quelque chose devait changer. Quelque chose doit changer. Aujourd’hui.
More of the same. Back to business. As usual.