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Mercredi 27 mai
Et puis on s’habitua — Chapitre 2
mercredi 27 mai 2020, par
Les braises de la révolte refroidissaient. Nul besoin d’être grand clerc pour le constater : on le voyait bien. On ne faisait pas grand-chose pour les entretenir. Bientôt, on n’essaya même plus de jouer du tison pour en faire jaillir l’étincelle. Bien sûr, on se disait bien qu’on aurait peut-être besoin un jour, à tout hasard, alors on les veillait, sous la cendre, de loin en loin. Difficile d’y reconnaître les flammes dansantes qu’elles furent un jour. Difficile, aussi, de croire que celles-ci pourraient à nouveau danser avec autant de fougue. Après tout, on vieillit.
On découvrit bientôt que rester chez soi n’avait pas que des désavantages. Télé-travail, télé-courses, télé-école, télé-médecine… On s’aventura de plus en plus rarement à l’extérieur. Et, chaque fois, tour à tour l’air frais, la pluie glaçante, ou les rayons dardés du soleil mordaient la peau. Dans les premiers temps, la morsure était bonne, elle rappelait la vie, le bonheur d’avant, elle requinquait, remplissait les batteries. Puis la peau se fit trop fragile, et la morsure devint insupportable. On était bien mieux chez soir, où régnait cette atmosphère à la température et à l’hygrométrie soigneusement contrôlées.
Dès lors, on évita de sortir. Tous les prétextes trouvaient un contre-prétexte. On remettait sans cesse au lendemain la course à faire — puis on trouvait une autre manière de les faire. Après tout, puisqu’on avait inventé le drone, pourquoi s’en priver ? Même les pompes funèbres y avaient recours.
La vie sociale existait toujours. Elle se faisait par procuration électrique, électronique ou laser. Puis on s’en lassa. Qu’avait-on à se dire après tout. On partait en vacances de la même manière — et quel bonheur d’éviter toutes les queues aux aéroports, de découvrir tous les sites archéologiques vierge de toute foule bigarrée et odoriférante, de profiter pour soi seul de toutes ces beautés. Des plages de substitutions (avec sable artificiel et murs-écrans sur lesquels on pouvait jouir de la grève de son choix) furent vite inventées pour trouver leur place dans toutes les salles de bain. Aux vélos, golfs et tapis roulant s’ajoutèrent les skis, bateaux et autres terrains de sport d’appartement, qui n’étaient finalement qu’une extension de ce qu’on appelait jadis console de jeux. On pouvait même se livrer à ses activités préférées avec ses amis, grâce aux réseaux !
De même, on n’ouvrit plus que rarement les volets et rideaux — les reflets sur les écrans faisaient trop d’interférence, la lumière empêchait d’en distinguer et apprécier tous les détails . On commença bientôt à murer les ouvertures. Ce furent les derniers chantiers des maçons, qui furent du reste bien heureux de se trouver au chômage : une raison de plus pour rester chez soi. Si d’aventure l’on s’aventurait dans la rue — ce qui n’arrivait presque plus jamais — ce n’était qu’une succession de façades aveugles, de murs en voie de décrépitude, un urbs en déshérence.
Les véhicules y étaient rares : pour rentabiliser les équipements, on préférait les livraisons en gros, et les flux de drone étaient optimisés avec soin.