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Lundi 8 juin

8 juin 2020

General Pause — Chapitre 16

Nous ne pouvons faire ici l’impasse sur une autre hypothèse quant à cet arrêt général de toute activité. Une hypothèse qui suppose que la musique ne serait pas réellement une drogue. Du moins pas comme on pourrait l’entendre.
Certes, elle plongerait les sujets qui y sont soumis à un ravissement profond, souvent collectif. Elle serait addictive, et d’un usage récréatif. Mais pas que. Ce serait aussi une drogue au sens de médicament : adoucissant les mœurs, apaisant ou exaltant les âmes, selon l’usage que l’on en ferait. Un outil, évidemment, à ne pas mettre en toutes les mains et dans toutes les oreilles — car elle se prendrait préférentiellement de manière auriculaire.
D’autre part, ce ne serait pas une drogue passive, à l’instar de l’essentiel des drogues connues à l’époque. Bien au contraire. Munis d’instruments étranges et biscornus, dont le maniement nous est encore obscur, une partie non négligeable des drogués la produirait d’ailleurs elle-même — un peu comme il arrivait à Homo Sapiens Sapiens de se préparer lui-même à manger ou à boire. Quant aux autres, le laisser-aller aux effets hypnotiques entraînerait le corps tout entier dans un mouvement, parfois imperceptible (avec une hausse notable des influx nerveux le long de l’échine), parfois déroutant (avec des gestes parfois qualifiés de « chorégraphiques », dont la signification ne nous est pas très claire non plus).
Ainsi, plus que d’une additction, la musique serait l’objet d’un « amour ». Et c’est amour qui serait à l’origine de notre General Pause. Tout aurait commencé dans un pays du vieux continent, l’Italie, à moins que ce ne soit dans le Milieu de l’Empire — ce n’est pas très clair. Le temps était au beau, la température douce, et les fenêtres ouvertes, quand un de ces « musiciens » (comme on appelait alors ceux qui produisait eux-mêmes leurs doses de musique) se serait mis à en faire, chez lui.
Touchés à leur tour par la drogue porté par l’éther, ses voisins prêtèrent l’oreille (ainsi désignait-on parfois la prise de la drogue par les drogués) et s’installèrent à leurs balcons pour mieux en jouir. Lorsque le musicien eut fini, il fut applaudi chaleureusement par son public, qui en redemanda les soirs suivants. Dans les jours suivants, la performance fut imitée alentour puis gagna de semaine en semaine des contrées de plus en plus lointaines.
Des moyens avaient mis au point pour transporter sur de grandes distances des phénomènes musicaux ou visuels, qui furent mis au service de ces performances multiples.
Il arriva un moment où le monde entier put profiter d’une performance réalisée par de nombreux musiciens chez eux, pendant une semaine entière sans s’arrêter.
Plongeant toutes les populations dans le ravissement qu’on sait, le reste des activités mondiales fut mis en pause.
Et c’est ainsi que l’amour de la musique aurait suspendu le temps.



Dernier ajout : 20 mars. | SPIP

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