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27 juin 2007 — 22 h 30

mercredi 4 juin 2008, par Jérémie Szpirglas

Je suis revenu ce soir pour boire un verre solitaire (mais entouré) après un très beau film qui m’a fait forte impression (Persépolis de Marjane Satrapi). Son absence me rappelle une fois encore que j’ignore tout d’elle, jusqu’à son prénom. Cette soirée est très animée et je suis pourtant toujours en attente.

Je ne m’ennuie pas, je m’amuse même beaucoup. Je ne sais pas pourquoi c’est venu — peut-être une scène du film où une iranienne de sa famille demande à notre héroïne « Tu as couché avec plusieurs hommes ? » avec un air d’incrédulité et d’envie — mais je me suis mis à compter : compter le nombre de filles avec qui je suis sorti ou ai couché.

Exercice ignoble. Mais ça m’amuse beaucoup, peut-être justement parce que c’est ignoble. Je n’écrirai pas ici le nombre, j’aurais trop peur que mon intégrité exige que je le reporte tel quel dans le texte tapuscrit.

Un de mes voisins m’a abordé et j’ai perdu le fil des événements.

Profitant de cet entretemps d’inattention de ma part, elle s’est décalé vers le centre du bar (vers la droite pour moi), à côté des robinets (ou des fontaines ? Quel est le terme exact ici ?) à bière. Elle fume l’une de ses minces cigarettes. Je ne vois pas ce qu’elle boit. Elle est en pleine conversation avec un autre type au teint sombre, mal rasé, cheveux courts (c’est son type de mec ou quoi ?). L’un de ses amis « réguliers » vient d’arriver et lui fait la bise : court, trapu, le crâne rasé. Elle jette un coup d’œil vers ma table habituelle, ne m’y trouve pas : je suis trois tables plus loin, en salle. Je ne pense pas qu’elle m’ait repéré encore. Si elle reste tournée vers son pote et ne regarde pas au bon endroit, elle n’a aucune chance d’y parvenir. Elle vient d’enfiler une veste d’homme (il fait froid). Elle flotte dedans et fait petite femme (et non petite fille, ce qui serait nettement plus mignon). J’ai ce soir beaucoup de mal avec ses gestes, surtout ses gestes de main, qui m’agacent car ils traduisent un vulgarité que j’aimerais plus dissimulée, ou plus calculée peut-être. Je ne la trouve pas si jolie non plus, ce soir. Son profil droit n’est peut-être pas son meilleur : c’est son plus commun.

La faim me taraude. Je sens qu’il va bientôt falloir mettre un terme à cette sortie.

Ça y est : alors qu’elle passait un coup de téléphone, elle m’a enfin vu. Elle a arrêté son regard longuement sur moi (qui buvais) et dans mes yeux. Il y avait dans les deux siens une pointe de mépris (« Encore lui ! », « Encore à écrire, celui-là ! ») et sans doute dans les miens une grosse dose d’ironie. Elle n’est manifestement pas d’humeur à notre petit jeu habituel et voudrait ne pas me voir là. Ses réactions prochaines vont être intéressantes.

Ça y est : la période d’auto-surveillance a commencé. Elle ne bouge presque plus, ne rit pas, apprête ses gestes, détourne la tête et le regard. De sa posture toute entière émane l’agacement. Pour paraître malicieuse, elle doit y travailler.

Elle a quitté sa place (sans doute pas de manière permanente) et a été remplacée par une blonde, très finlandaise dans on physique, que je crois connaître. Mais de là à me rappeler son prénom…

Elle est revenue, joue un peu avec le taulier.

23 h 30. Là, par contre, serait-elle partie ? je l’ai vue sortir, mais reviendra-t-elle ? Pas très grave, y a plein de choses qui se passent autour de moi, mais aurai-je trop faim pour poursuivre ?

Aller retour pour aller manger. Elle de nouveau à sa place. J’en ai un peu marre de ce compte rendu stupide ce soir. Il faudrait que je passe à autre chose, que je travaille un petit peu. Ça ne vient pas : toujours le même problème. Tant pis. Ou ça sort comme ça, haché, laid, irrespirable. Pas forcément mal écrit, mais très survolé, dans les faits comme dans les sentiments.

Comment est-il possible d’être aussi prévisible ? (Je parle d’une autre, suivez un peu !) Sitôt assise, elle déboutonne son gilet, bombe sa poitrine et réarrange le tissu pour mettre en valeur son décolleté et sa poitrine, poitrine pourtant des plus communes.

J’aime les regards féminins qui, se posant sur moi, s’attardent, s’emplissent d’un désir diffus, l’attention en éveil. Plaisir évidemment narcissique, je l’admets, et auquel je devrais céder moins souvent (ou plus discrètement), mais plaisir tout de même.