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5 juillet 2007

Bis 1

mercredi 2 juillet 2008, par Jérémie Szpirglas

Il m’énerve à écrire constamment. Je sais bien que, de temps en temps, ce n’est pour lui qu’un travail fonctionnel, laborieux, strictement lucratif (me suis un peu renseignée sur lui auprès de mes amis serveurs). Mais je suis certaine que, la plupart du temps, il écrit sur ce qui se passe dans le bar. Il est bien trop attentif à ce qui se passe autour e lui pour qu’il en soit autrement — rien à voir avec l’écrivain distrait, perdu dans ses pensées et ses abymes. Son attention se focalise sur un point précis dans la pièce, son regard dissèque, puis passe à un autre. Et je ne suis jamais si énervée que quand je suis au centre de cette attention. J’ai l’impression que rien ne lui échappe. Le moindre de mes mouvements, el moindre de mes sourires. Microscope. Heureusement qu’il y a la musique, sinon y a des moments où je n’oserais plus parler.

Donc il m’énerve. C’est la seule raison pour laquelle je commence ce carnet. Il m’énerve. Une sorte de vengeance. De droit de réponse à ce qu’il écrit, même si je ne l’ai pas lu. J’avais envisagé deux options : 1. Ne plus venir dans ce bar. 2. Ecrire, moi aussi. La première solution aurait sans doute été plus efficace. Elle m’aurait sans doute permise de me le sortir de la tête, de ne plus le voir, de ne plus le voir écrire. Ç’aurait été une bonne idée, si ça ne m’embêtait pas tout autant : j’aime ce bar, je connais les serveurs, je connais le barman (à plus d’un titre). Je connais même le patron. et je m’y plait, un point c’est tout. J’y vois la plupart de mes amis et je m’en suis fait d’autre sur place. Bref, ça m’aurait forcée à couper des ponts que je ne voulais pas couper.

Alors la seconde solution s’est imposée. Une manière de prendre ma revanche, de me venger de lui. J’ai toujours l’impression qu’il écrit sur moi et ça m’embête. Comme s’il voyait à travers moi. Comme si, en m’observant ainsi, il découvrait mes secrets, me dévoilait, me dénudait. Son regard me force, me perce. Son stylo me vole. Clairvoyant et perspicace. Il lit en moi me recopie ça me gêne.

En plus, il me plait. Et ça n’arrange pas mes affaires. Il m’a plu tout de suite, dès que je l’ai vu. Je ne pouvais détacher mon regard. J’ai espéré qu’il vienne m’aborder, me parler. Au lieu de quoi il a sorti son petit carnet stupide et son stylo stupide et s’est mis à écrire stupidement.