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13 juillet 2007 — 18 h

2 juillet 2008

Rupture

Retrouver le ton de la dispute, de la rupture, de la réflexion, du sauvetage impossible d’une relation condamnée.

C’est triste. Sont si clairement en train de rompre. Pas d’autre explication, pas d’autre issue possible à cette scène.

On en voit peu dans les bars, des ruptures, et surtout dans ce bar, plus habitué aux danses nuptiales et aux ronds de jambes.

On préfère sans doute des lieux plus intimes, où l’on pourra laisser échapper cris et sanglots.

Ils ont commandé. Elle : mojito. Lui : verre de vin blanc. Ils n’y ont pas touché. Pas faim, pas soif. Gorge nouée, rien ne passera. Pâleur. Silence. Embarras.

C’est elle qui rompt. Elle regarde autour d’elle. Voit ces gens qui s’amusent. Aimerait être débarrassée de tout ça pour se joindre à eux. Pour aller vers certains garçons qui lui plaisent.
Impossible. Pas avec lui dans les pattes. Fait semblant de se remettre à parler, de se sentir à nouveau concernée (elle l’est, mais elle veut le paraître plus qu’elle ne l’est). Ses yeux sont rougis. Embêtant, cette tendresse. On écoute sans écouter. On se préoccupe sans se préoccuper.

Lui, la tête rentrée dans les épaules comme si les coups ne cessaient de pleuvoir, courbé, voûté déjà comme à 80 ans, muet, main devant la bouche. Abattu. Mutisme. Regarde aussi les autres. Ne comprend pas comment ceux-là peuvent poursuivre ainsi insouciants leur vie, alors que la sienne semble s’être arrêtée.

Temps suspendu dans un des pires moments de la vie. Pour l’un comme pour l’autre.

Petit espoir de discussion que l’on sent vain. On n’entend rien. On suppose. On imagine les arguments, les efforts, les promesses, les banalités.

Qui n’ont finalement aucun rapport avec le nœud du problème.

C’est fini. Plus aucun effort n’est requis. Plus aucun compromis. Non plus.

On ne veut plus.

La volonté s’est étiolée puis éteinte.

Leur couple ne doit pas être bien vieux. Ou alors la douleur est drôlement rentrée, cachée, discrète, souterraine.

On imagine aussi ses paroles à elle. Ses consolations. Ses commisérations (on les a tous entendu un jour). Qu’on voudrait croire sincère, mais banales. Puis non, certainement, on n’entend pas, mais pourquoi serait-ce différent de ce qu’on a pu vivre ?

Elle initie une caresse, mi maternelle, mi chaste, mi complice.

Il proteste. Il dit Non. Dit Ça va pas. Et Non encore. Il faut sauver tout ça.

Elle. Elle. Elle me regarde écrire depuis un moment. Incrédule. Ne sait que dire. Absorbée par le spectacle du bar, auquel elle aimerait tant se joindre mais, et par celui de ma plume, qui lui donne un point à fixer dans l’espace.

Est-elle triste qu’il ne soit pas plus défait ? Qu’il ne fonde pas en larmes ? Pas triste. Secrètement déçue, peut-être, et ne se l’avouera jamais. Mais ça se voit dans ses yeux baissés, qui se voudraient plus compatissants. A pris ses mains dans les siennes. Ça n’a pas duré. Quelques minutes, quelques phrases. Pencher la tête contre le mur, l’air de dire c’est ainsi. Triste dommage aussi peut-être, mais vaut mieux ça que plus tard. Lui s’aide de ses mains pour mettre ses arguments en avant cela ne lui sert de rien il s’enfonce dans le pathétique.

On aimerait qu’il s’enrage, ou qu’il s’emporte ou qu’il cède à son transport, quel qu’il soit.
Déception. La douleur n’est pas si forte. La relation n’était pas si intense et la rupture n’est pas si dure.

Ils ont commandé à grignoter et ils arrivent tous deux à manger. Se sont-ils réconciliés ? Etait-ce une simple dispute ?

Ils se seraient réconciliés. Le sourire serait revenu su leurs deux visages à présent. Comme si tout ça était derrière eux. Serait-ce une rupture, ou une simple dispute.

Ou, pis encore, version paranoïaque : devinant mes écrits, ils auraient décidé de me jouer un tour, une scène à ma seule intention, ils me manipuleraient ? Version complètement paranoïaque : toutes les personnes de mon entourage me jouent constamment des scènes comme ça. Ce ne sont que des figurants qui ont réussi à décrocher un rôle plus important à jouer dans ma vie, pour alimenter mon projet que le manipulateur suprême veut faire avancer !

Mais trouvons à présent des clefs de lecture à cette scène qui soient moins le fruit de mes ignobles névroses.

Ils ne sont pas en train de se réconcilier. Ils rompent.

Je ne les ai pas vu s’embrasser.

Elle est trop gentille pour lui faire plus de mal que ça et fait durer la scène. C’est presque pire, c’est pénible à regarder.

Essaie de lui rappeler les bons souvenirs, les bons moments qu’ils ont partagé. Erreur également : ne fait que renforcer la douleur, le dépit, la jalousie.

Arrêtons-nous un peu. Sans connaître la conversation exacte, on pourrait imaginer que la situation est renversée. Ou bien qu’ils ont déjà rompu et que c’est une redite (peu probable) ou, encore, que l’un, ou l’autre, a rompu avec quelqu’un d’autre et en parle à l’un de ses amis (encore moins probable).

Non, la solution la plus probable est la première… à la rigueur la seconde !

Renverser la situation. Renverser les rôles. La scène serait tout aussi vraisemblable. Une rupture se fait à deux et la tendresse, l’affection, complique tout, partage tout.

On renverse, on inverse, on échange les réactions de dépit, d’incompréhension, de honte, de peine. Mais ces gestes sont finalement si proches.

« We’ll always have Paris. »



Dernier ajout : 20 mars. | SPIP

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