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Jeudi 30 avril

30 avril 2020

General Pause — Chapitre 2

Comme nous le disions en préambule, les informations dont nous disposons sont excessivement parcellaires. Ce qui rend leur interprétation fort hasardeuse. Les hypothèses quant à la nature du tsunami qui nous occupe ont été toutes plus imaginatives les unes que les autres.
Certaines légendes veulent que l’humanité se soit soudain, face à une avalanche de preuves matérielles et indéniables, convertie à une nouvelle religion. Elle aurait alors un culte à un dieu « nouveau » — nous mettons ici le terme « nouveau » entre guillemets, tant il mériterait à lui sel d’être discuté : on pourrait plus justement parler d’un dieu dont on découvre pour la première fois les manifestations — un dieu « nouveau », donc, dont les caractéristiques sont finalement assez classiques pour les dieux : vengeur, ombrageux, arbitraire, capricieux, tout puissant, omniprésent jusque dans la moindre particule d’air… L’une des particularités de ce dieu « nouveau » dénote singulièrement dans une série de civilisations qui craignaient jusqu’alors l’énorme — le monstrueux étant surtout ce qui dépassait en taille, et de loin, ce que l’humanité avait su bâtir — : il aurait été microscopique. Il aurait également été pluriel — mais unique néanmoins — : ce qui ne doit pas nous choquer, cette fois, de la part d’une humanité dont une bonne partie a longtemps pensé que 3 = 1. Quelques rires étouffés dans la salle…
Sitôt ses premières manifestations constatées, ses thuriféraires s’en firent les vassaux en le baptisant aussitôt d’un nom « couronné » : on ne répétera pas ici combien la couronne symbolisaient en ces temps obscurantistes la puissance — et plus encore une puissance d’ordre divin : c’est d’une couronne qu’ils ceignirent longtemps le front de leurs souveraines et souverains, lesquels étaient encore assez nombreux, du reste, à l’arrivée du tsunami.
À l’instar des dix plaies dont une religion précédente nous dit qu’un autre dieu (qui avait alors perdu de sa puissance — ou qui, selon d’autres versions de la légende, se serait transformé pour prendre ce nouvel avatar, un peu comme les dieux grecs et romains : c’est donc toujours lui qui aurait été à la manœuvre) a affligé l’Égypte antique, ce dieu « nouveau » aurait semé la mort parmi les infidèles. Certains adeptes y ont vu sa miséricorde en action, puisque la plupart des victimes étaient déjà toute proche de la mort. Quelques-uns vont jusqu’à suggérer que ces victimes n’auraient de toute façon pas survécu bien longtemps au-delà du tsunami : leur dieu n’avait fait qu’avancer de quelques jours ou semaines l’inévitable. D’autres y ont vu l’œuvre de son arbitraire, d’autres encore de son jugement. Bref, comme dans toute nouvelle religion, dès son apparition, les fissures annonciatrices des schismes futurs se font voir.
Toujours selon ces légendes, les adeptes auraient développé de nouveaux rituels — notamment la claustration, la prostration, la méditation solitaire, une forme de jeûne qui n’aurait plus uniquement relevé des nourritures terrestres, mais aussi de toute forme de loisir ayant trait à la nature et à la vie sociale… Ces nouveaux rites s’accompagnèrent naturellement de nouvelles tenues liturgiques (du costume à la coutume, il n’y a pas grand-chose !) adaptées à la vision hygiéniste de ce nouveau dieu : masques sur le visage, gants en latex. Le port de ces colifichets peut s’interpréter de diverses manières : symbolique, comme celui de la croix, ou plus vraisemblablement un signe de pieuse humilité. Le croyant, ce faisant, accepte l’impureté de son propre corps : il place un masque sur son visage pour signer son indignité à recevoir son dieu en lui. Les gants ont une symbolique plus forte encore, leur couleur blanchâtre — mais non réellement blanche, et avec une once de transludicité de la matière — symbolisant la puissance vierge de la divinité traversant le croyant.
Pour les plus ardents, des lunettes transparentes, des blouses en tulle légère, des pantalons en tissu grossier ceints d’un élastique autour de la taille, des chaussures légères en toiles complètent la tenue. On voit là, comme souvent, apparaître une classe de religieux qui partagent leur temps entre méditation, aumône et aide, prosélytisme, et soldatesque, et se signalent au reste de la société. Signe de leur dévotion, ce sont eux qui portent secours aux malades — non sans essayer de les convertir au passage. Quelques rares apocryphes suggèrent du reste que ceux qui résistaient étaient laissés sans traitement, à la porte des hospices.
Fait notable dans la naissance d’une nouvelle religion : elle aurait gagné la planète entière en très peu de temps. Prenant sa source dans le temple sacré où était née la pensée d’un mythologique « Empire du Milieu », elle a envahi la Terre entière en moins de trois mois.
La période « secte » qui signe traditionnellement les débuts d’une religion aurait donc été inhabituellement courte, les martyres assez rares, mais les saints multiples et très vite célébrés comme tels. Les cérémonies liturgiques se sont faites quotidiennes, voire biquotidiennes, suivies par des millions d’adeptes, communiant (et c’est là encore une exception en termes de religion) mais jamais ensemble…



Dernier ajout : 28 mars. | SPIP

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