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Fantasmes de concert

14 août 2008

"Grandis !"

Je le pense et le répète dans ma tête. À l’adresse de ce jeune con qui pianote — tout dans les doigts (une mitraillette dans la main) rien dans la tête rien dans le coeur. "Grandis, enfin ! Il est temps de faire un peu de musique, Schumann ne méritait pas ça." Il a encore bien du chemin à parcourir ce garçon.

"Grandis ! pensè-je encore, avec un soupir."

Cependant, alors que je lui enjoins de "grandir", je me prends justement à contempler la poitrine de ma voisine, un petit décolleté discret qui suggère l’ambre ferme et doux — l’imagination pallie à merveille les insuffisances de la vue —, avec ces petits reliefs sous les doigts de la chair de poule née sous la caresse à fleur de peau, le volume appétissant et discret qui frémit et se dresse derrière le téton — suivi de l’aréole que j’imagine large et sombre — dure sous la langue.

Je n’écoute plus, je me force à ne plus regarder, je ne peux que penser à ce sein sous mes doigts. Je crois deviner les trépidations de son coeur sous la chaleur de mon regard. Je jette un nouveau coup d’oeil, la poitrine s’élève, se rabaisse, palpite. Elle fait semblant de rien, sa main se crispe sur le banc où elle est assise.

Faut s’arrêter là, arrêter d’y penser, arrêter de l’écrire, sinon je lui saute dessus avant même que ce petit pianiste ridicule et niais ait terminé son numéro de singe savon. Je la renverse sur le si beau dallage de cette église romane, sans souci du bruit, je presse tout contre elle, je l’embrasse à pleine bouche.

"Grandis !" C’est à moi que je parle à présent, grandis, grandis, cesse de penser à ses yeux de biche (tous les yeux sont de biche, dans ce genre de texte, mais là, je vous jure, c’est vrai, elle a des yeux de biche), à sa bouche à ses seins.

Enfin l’averse se termine. Le piano se tait. Les touches respirent après la torture.

Elle se lève et va tourner les pages pour l’œuvre suivante.

Ça n’arrange pas mes affaires : j’ai un faible pour les tourneuses de page. Surtout celles avec un décolleté comme celui-là. J’aime quand elles se lèvent, se penchent au-dessus du clavier pour ne pas déranger le pianiste — on voudrait plonger — on se demande comment le pianiste ne se déconcentre pas. Puis elles se rasseyent, sages, l’air de rien, semblant tout ignorer du trouble qu’elles ont suscité.

Ça donnerait presque envie de faire du piano.

J’ai encore dans la tête toutes ces images que je me suis faites, je les projette sur celles que j’ai déjà. C’est terrible. Serai-je capable d’aller jusqu’au bout du Quintette ?

Peut-être une suite, un jour, mais pas tout de suite. Je ne suis pas d’humeur. Mais alors pas du tout du tout du tout.



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