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10 août 2012

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Tu vois, c’est comme quand tu sors de l’avion. Comme au moment où tu quittes ton siège après un long voyage en avion. Tu ne sens plus beaucoup tes jambes, elles sont ankylosées, et puis tu as des fourmis dans les pieds — ça picote, ce n’est pas très agréable, mais ce n’est pas vraiment désagréable non plus. Puis, tu te lèves et tu découvres avec une pointe de surprise — une pointe de surprise que tu dissimules aussitôt — que tes jambes peuvent de porter, que, un pied devant l’autre, tu peux marcher. À petits pas, d’abord. C’est pas facile : le sommeil que tu as trouvé sur ton siège n’était pas des meilleurs. Et en même temps tu te sens inhabituellement légère. Puis tu sors de l’avion, tu clignes des yeux dans le soleil étincelant. Tu as besoin d’un instant pour t’y habituer, pour découvrir le paysage qui s’ouvre à mesure. Dès la descente de l’avion, dès que tu poses un pied sur le tarmac, tu es soudain assaillie de couleurs et d’odeurs. Elles te sont presque familières, tu crois les avoir déjà vues, les avoir déjà senties, oui, tu crois avoir déjà été là, mais c’est comme si tu l’avais oublié. C’était il y a trop longtemps. Ou alors c’est comme un souvenir inscrit dans ton cerveau, mais que tu n’aurais jamais vécu toi-même, qu’on se passerait de père en fille, de mère en fils.

Soudain l’horizon s’ouvre. Presque brutalement, tu es happée par l’immensité. D’un coup, ce n’est plus à quelques mètres, mais à des centaines, des milliers, des milliers de milliers de mètres que tu vois, que tu embrasses le monde en toi.

Et tes jambes. Sans plus de douleur, sans plus de lourdeur, d’un bond, elles sont là, elles t’obéissent, tu peux courir si tu veux. Oui, courir, loin. Courir, libre.

(D’un bond, je suis sur mes jambes. Je jette un petit regard sur tout le petit monde assemblé là, autour de moi. Et le sourire que je leur adresse, ce n’est plus un sourire d’adieu, c’est un sourire de joie, c’est un sourire tout amour.)

De ton cœur s’est soulevée l’angoisse. L’angoisse, l’appréhension, le poids. Oui, le poids. Tout ce qui peut peser dans la vie. Les petits et grands soucis, les petites et grandes inquiétudes, les aspirations et les ambitions. Il ne reste plus que l’exaltation. Et cette paix étrange de savoir que tu as tout le temps devant toi. Tout le temps, tout le monde, un océan de possibles.

Et puis tu penses à toutes ces images magnifiques qui t’attendent, toutes les expériences que tu as anticipées, minutieusement, en décortiquant guides, souvenirs et journaux de voyage.

Tout ça est pour toi. Tu es libre. Tu es livre.

(Je retrouve enfin mes jambes. Adieu fauteuil roulant, adieu béquilles. Adieu fatigue, je t’abandonne loin derrière moi, avec le poids de la maladie qui t’attire vers le fond de l’abime. Adieu, je n’ai plus besoin de vous. J’ai ce qu’il me faut, j’ai tout ce qu’il me faut.)

Tu cours. Droit devant toi. Sous tes pas se dévoile le chemin, l’évidence. Tu cours.

Tu respires l’odeur des arbres, tu sautes à travers les montagnes, tu joues avec la lumière étincelante.

Tu abandonnes derrière toi bassesse et lâcheté, petitesse et enfermement.

Tu n’es plus que paix.

Et quand tu lèves à nouveau tes yeux vers les autres, ceux que tu as laissés derrière toi, ce n’est qu’avec un sourire, un sourire immense, un rire éclatant, qui rayonne jusque dans leur cœur. Tu le sais.

Pour eux tu n’es que ce rire, ce bonheur, cette force renversante, et c’est vers eux que tu cours, ce sont eux que tu vas rejoindre par-delà les montagnes, la lumière et la joie.

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Dernier ajout : 16 mars. | SPIP

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