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Écrire, écrire
mardi 28 juillet 2009, par
(Écrire, écrire. Facile à dire, facile à lire. Écrire. C’est bien beau d’écrire, mais c’est dur, une discipline, une douleur, une imposition, une brulure, un mouvement, un cri, si l’on veut, si l’on me force, je suis prêt à dire que c’est un cri, mais c’est surtout désacraliser le mot, savoir le raturer, le biffer nerveusement, le jeter au loin, l’oublier, s’en séparer, le façonner, le raboter, l’enlever si besoin — et il y a souvent besoin surtout chez moi, beaucoup de déchet. Pourtant, si je sais pertinemment que c’est déchet, ça me fend le cœur de m’en séparer, j’essaie d’entrer dans les tendres mécaniques de la phrase, comprendre ce qui n’y fonctionne pas, je me casse des heures la tête à la démonter, la remonter, à faire appel à toutes les théories de physique quantique, à tout le lexique que j’épuise en vain, dans l’espoir illusoire qu’un mot, par magie, arrangera l’inarrangeable que je me refuse à abandonner sur le bord du chemin — surtout quand sa naissance est lointaine. Être écrivain, ai-je lu quelque part, c’est n’être jamais content de soi (en fait je ne l’ai jamais lu nulle part, peut-être me l’a-t-on dit, que c’était bizarre d’être content de soi, de ce qu’on écrit, mais j’ai trop honte d’exposer ce cliché comme étant de mon cru), c’est savoir jeter, savoir attendre aussi, attendre son heure sans se jeter d’un falaise à force d’aligner les mots ineptes, à force de ne plus savoir franchir ce gouffre qui sépare l’idée confuse, mais ô combien puissante, du mot, réduit et réducteur, pauvre, débile, handicapé et même souvent Alzheimer (belle idée, je le dis dans l’instant où je la couche sur le papier, que ce « mot Alzheimer », la mémoire du mot, sa déréliction, son sens perdu ou diminué, appauvri (là encore).)
(Le mot Alzheimer, qui emmerde tous les autres mots de la même famille, le mot sur lequel on ne peut compter, même pour savoir qui il est, où il habite — et surtout ce qu’il signifie — mot anonyme, décrépi, sénile, colérique et baveux, qui ne sait plus dire son nom, et ne reconnaît ni mari ni enfants. Et je n’ai que ça à ma disposition. Ecrivain mal armé, dépourvu — et la bise qui vient, celle de ce petit désespoir qui grossit toujours à nouveau, ce pessimisme ancré au loin, sans queue ni tête, ces envies, ces images (comme cette image tous les soirs, au moment de chercher le sommeil, cette image qui tourne, identique, que je finalement rappelle consciemment chaque soir et fait défiler devant mes yeux, monotone).)
((Image morbide, désir de mort mal dissimulé, fantasme d’utilité (ou, au contraire, d’inutilité, qu’en sais-je ?) Ça fait longtemps que je voulais écrire, ou au moins dire, cette image nocturne qui tient autant du rêve que du fantasme ou de l’idée, mais voilà que j’en suis encore incapable, alors même que je tourne autour depuis une dizaine de lignes.))