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Reprendre
Reprendre, toujours reprendre. Non pas remettre sur le métier. Non. Reprendre. Revenir au même endroit, et reprendre le chemin. Au même pas. Des semaines, des mois plus tard, et pourtant. Comme si de rien n’était. Comme si le temps n’était passé.
Retrouver le rêve, retrouver l’idéal qu’on avait en tête, retrouver le rythme, essayer d’être la hauteur.
Reprendre. Toujours reprendre. Chaque jour, chaque semaine, chaque mois, chaque année.
Reprendre : un thème récurrent. Lancinant. Une douleur peut-être ?
Reprendre, tourner en rond, tourner autour du pot, hésiter, refuser l’obstacle.
Se dire que si, que ce serait bien si, et pourtant repousser.
Se dire que oui, et s’en vouloir de son oisiveté.
Reprendre et se demander pourquoi diable on s’est arrêté. Quel idiot. Et se rappeler que, ben, si, il le fallait bien. Les contraintes sont ce qu’elles sont. Et parfois on s’épuise, on s’assèche, on se déserte et on déserte. D’un coup d’un seul.
Alors reprendre, retrouver le bout de la pelote — cachée telle une aiguille dans la botte —, tenter de décoller l’amorce du rouleau adhésif, sans le déchirer, sans se retrouver avec seulement une étroite section du tout, et le reste décoller ensuite.
Comme j’aimerais cette génération spontanée, cette écriture non pas automatique mais presque, jaillissement continu, écoulement sans fin et sans douleur.
Ça n’a pas vraiment de rapport, mais me vient en tête la phrase de Proust : « Mais nous les aimons ces lourds matériaux que la phrase de Flaubert soulève et laisse retomber avec le bruit intermittent d’un excavateur. » Avec cette idée que la phrase de Flaubert travaille sans relâche, avance, mécaniquement, prenant devant lui les mots épars, pour laisser derrière lui les phrases — celles-ci constituant comme le sillage d’un voilier lancé dans un surf pleine vitesse.
Je ne doute pas que c’était pour lui, comme pour moi, un effort — peut-être pas surhumain toutefois.
M’attacherais-je autant l’écriture si elle me venait plus facilement ? Si la reprise n’était pas un enchaînement d’essoufflements, de trébuchements et d’égarements ?
Me suis-je fait une entorse la plume comme la cheville en reprenant la course ?
Quelle orthèse pour écrire ? Quelle anti-inflammatoire ? Quelle rééducation, surtout ?
Reprendre, relancer. Abattre un poil, attendre la vitesse, puis lofer et border — sur la route.
Ne pas rester arrêté face aux vagues.
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