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Sans-Titre XII

S.J.

mardi 1er juillet 2008, par Jérémie Szpirglas

Est-ce elle ou n’est-ce pas elle ?

Si je pouvais l’écrire, ce ne serait pas qu’une impression : la coiffure et la conversation, dont je n’entends que ses répliques, ne me laisseraient aucun doute.

Et si je pouvais l’écrire, j’agirais, je ferais quelque chose : car elle serait la femme idéal, même s’il n’en est rien.

Elle a cette voix un peu profonde et nasale, presque rauque, qui est aussi sa signature. Une voix qui porte sans être volatile ou même volubile.

Elle sait sans aucun doute possible que je la contemple, que le type à sa droite la reluque également, mais elle ne s’en trouble pas le moins du monde.

Si je pouvais l’écrire, je lui proposerais de déjeuner ensemble. Pas plus. Car elle est discrète et peu de gens l’ont remarquée. Penserait peut-être que peu de gens la reconnaissent. Surtout ici, à Ni.

Si je pouvais l’écrire, elle aurait effectivement les yeux bleus et cette pointe de déception n’aurait pas lieu d’être.

Déception ? Que dis-je… Irruption soudaine d’une fille comme celle-là dans ma vie. Ce ne serait pas merveilleux, ce serait encore un défi. Encore et toujours ce con d’ego qui nous croit toujours capable de faire la différence.

Mais non, pour faire la différence, faudrait bien autre chose. Et notamment une rencontre, des conditions réunies, bien autre chose.

Si je pouvais l’écrire, ces trois mètres qui nous séparent seraient franchissables, même pour « un type comme moi ».

Une table s’est libérée à ses côtés. Si je pouvais l’écrire, tout serait si facile. Si je pouvais l’écrire, peu importe l’incongruité de la chose, on se serait levé, fait les quatre pas, posé ses affaires sur la chaise libre, s’asseoir bien en évidence en face d’elle, comme en vitrine, qu’elle fasse le choix et le bon. On aurait oublié certaines matérielles contingences, faim, argent, la cigarette qu’elle tient à la main. Tant de problèmes disparaitraient, tant de choses tomberaient sous le sens, tant de questions resteraient imposées. Si je pouvais l’écrire, on expliquerait d’emblée cette nervosité qui l’agite. Et son regard fuyant. Et on aurait bien plus tôt remarqué ce miroir à droite.

Si je pouvais l’écrire, elle m’aurait gratifié d’un beau sourire engageant, quand elle est passée devant moi, au lieu de ce sourire grand et gêné, accompagné de ce petit mot timide. Car elle n’est pas timide.

Peut-être même engagerions-nous la conversation… Comment ? Qu’en sais-je ? Trouverait une solution. Tellement plus simple. Une phrase géniale, qui la ferait rire dès cet instant. Ou, plutôt, qui lui donnerait l’occasion de briller à son tour, esprit de répartie et compagnie.

Me dirait qu’il fait faim, me proposerait quelque chose. Aller dîner, par exemple (déjeuner, je veux, dire, voilà que je m’emmêle les idées à présent (Si ça continue, je vais devoir acheter un nouveau carnet dès aujourd’hui)). Si je pouvais l’écrire, cette absence bienvenue de l’amie inopportune serait exploitée avec tact. Et diligence. Et un petit signe d’encouragement quelconque de sa part.

Si je pouvais l’écrire, elle ne boirait ni ne fumerait tant. Serait jalouse que je regarde d’autres filles (si vulgaires) en terrasse.

Si je pouvais l’écrire, je ne détournerais aucun de mes regards, et ça fait longtemps que cette situation ridicule se serait débloquée, qu’il n’y aurait plus aucun doute nulle part, sur mes intentions, sur ses désirs, sur.

Au lieu de quoi je suis la comme un con à me poser des questions cons et à écrire comme un con.

No way.

Si je pouvais l’écrire, certain qu’elles seraient célibataire aussi, ce qu’elles ne sont pas. Et, si je pouvais l’écrire, je ne me répèterais pas comme un leitmotiv depuis une demi-heure arrêtons les conneries. Je n’aurais pas honte tout à coup. Honte d’être un tel badaud. Honte de côtoyer d’infâmes xénophobes installés au comptoir. Honte d’avoir perdu mon temps dans ce café à la contempler sans oser faire quoi que ce soit. Honte d’être là, à N. Honte d’être ce que je suis.

Découvrir les pages sans fin.

Honte d’être un parmi d’autres, aujourd’hui plus qu’hier.

Car aujourd’hui, je ne suis pas le seul. Loin de là.

Aurait-elle dit cet adorable « I know I’m pretty », qui m’a fait tant sourire il y a un instant, avec un regard appuyé vers moi, regard appuyé s’accrochant d’un coup à la surface de mes yeux, sans s’enfoncer plus avant ?

Had I been wrinting, she wouldn’t be talking about boys, boy troubles or boy dreams.

Elle aurait des mains fines et jolies, ne porterait pas de ballerine, serait classe jusque dans ses moindres gestes. Ses jambes ne seraient pas ainsi agitées, comme celles d’un adolescent nerveux.

Par écrit, elle serait parfaite, par écrit, ce serait elle, sans aucun doute possible, rayonnante.

Par écrit, je me lèverais pas dans cinq minutes, non pour aller chercher un resto qui servirait si tard, mais pour aller vers elle.

Par écrit, tout cela ne se serait pas passé à la terrasse d’un café miteux.

Ç’aurait été magique.


Ce texte est raté. Peut-être la locution "Si je pouvais l’écrire," est-elle trop lourde. Mais je trouvais le "Par écrit" trop trivial. À retravailler. Retrouver un rythme : raconter ce qui s’est passé (ou ce qui ne s’est pas passé) avec une nobody, en racontant ce qui aurait dû se passer si ç’avait été une somebody.