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Et puis quoi encore ?

15 août 2008

À S.B.

Le passage clouté traversé, il se regarda dans la vitrine et comprit. C’est fou ce que les hommes, même les plus brillants, peuvent être longs à la détente. C’est peut-être une question d’éducation. Ils restent ingénus toute leur vie.

Celui-là, il lui a bien fallu cinquante mètres pour enfin comprendre. Il est trop gentil. Mais il y a des moments où ça suffit, où la gentillesse agace, exaspère même. Où une femme ne veut plus être adorée comme une reine, ou idolâtrée comme une déesse, elle veut juste être aimée comme une femme, être rabrouée, parfois malmenée même, voire traitée d’une manière qu’elle ne s’avouerait pas consciemment. Sauf quand un excès de gentillesse l’y pousse.

Car c’était un amant tendre. Bon. Très bon. Excellent même, mais très tendre. Presque trop.

Il m’aimait le plus souvent avec une douceur attentive qui en devenait frustrante. Même dans les positions les plus acrobatiques, je le sentais sur la retenue. Je voyais bien qu’il voulait me dévorer, prendre possession de moi — m’investir sans plus d’espoir de rémission. Mais non, il prenait des pincettes, se comportait comme un enfant bien élevé que sa mère a toujours interdit de bâfrer, même quand il est affamé. Jusque dans la jouissance, sa passion était cérébrale. Il faisait tous les efforts possibles et imaginables pour empêcher l’ardeur d’emporter et son corps et ses actes.

Il m’aimait. Oui, certes, il m’aimait. Et je l’aimais sans doute.

Une fois, il m’avait donné une petite tape sur les fesses. Rien de bien méchant, juste une petite tape, une petite flatterie de croupe, comme si je lui avais joué quelque tour malicieux. Ce geste se répéta quelques fois, devint assez fréquent au bout de quelques mois. Il semblait y trouver plaisir. Et j’aimais qu’il s’arroge ainsi cette partie de mon corps — qui, soit dit en passant, est l’un des plus beaux qu’il ait vu, m’a-t-il dit, et je veux bien le croire, c’est pas la première fois qu’on me fait la remarque.

De ce moment-là, j’avais espéré un peu plus. Une fessée, peut-être. Rien d’extraordinaire non plus, je ne suis pas exigeante — et puis, faut pas pousser. Je le lui avais même suggéré, un soir que nous étions au lit et que, ayant chacun fermé nos livres, nous nous apprêtions à nous livrer l’un à l’autre avec cette tendresse discrète qui reflétait si mal la force de mon désir — et du sien aussi, sans doute.

À bas la discrétion ! À bas la bonne éducation ! Bas les masques.

« Non, allez, donne-moi une vraie fessée ! »

« Tu es sûre ? J’ai peur de te faire mal. »

« Mais non, vas-y. »

Il abattit sa main, qui ne fit qu’une vaine brûlure.

« C’est tout ce que tu peux faire ? Plus fort enfin… »

« Je vais pas te donner une fessée de toutes mes forces, quand même. »

Il m’en appliqua une seconde, plus forte certes, mais il pouvait certainement mieux faire. Je poursuivis mes caresses et préludes, un peu déçue. Tant pis, ce serait pour une autre fois.

Alors voilà, j’ai décidé de passer à l’action. Un matin qu’il m’accompagnait au métro — quand je vous dis qu’il est trop gentil —, j’ai essayé de lui faire comprendre à mots couverts que je n’étais pas en porcelaine et qu’il pouvait parfois, dans le feu de l’action, me mordre ou me violenter un peu. J’étais presque à lui chanter « Fais-moi mal, Johnny ! », mais il l’aurait pris à la rigolade, et tout serait tombé à l’eau.

Il s’éloigna avec un masque ahuri plaqué sur le visage. Je l’avais aussi choisi pour ça, j’avoue : intelligent, cultivé, incroyablement sexy, mais naïf au possible. Il lui fallait toujours beaucoup de temps pour comprendre certains de mes sous-entendus.

Ils s’y attendent si peu, ces charmants idiots, à ce qu’une femme comme moi leur fasse des avances aussi ouvertes. Surtout quand elles sont ainsi habilement dissimulées sous un double sens lexical, ils ne comprennent rien, les malheureux. Les Anglais sont bien meilleurs dans ce domaine. Faut dire à notre décharge qu’ils ont l’avantage de l’entraînement auquel les contraint la relative pauvreté (ou pudibonderie) de leur langue, qui met des puns à tous bouts de phrase.

Bref, une semaine passa. Puis deux. Et rien.

Nous continuions à faire l’amour. Très souvent même. La plupart du temps, ça venait de moi. Certes, il me suffisait d’un geste pour faire parler son désir, mais il prenait rarement les devants.

Ce matin-là, j’étais stressée. J’avais un certain nombre de rendez-vous dans la journée, dont aucun ne s’annonçait facile.

Je me réveillai de bonne heure et repoussai d’emblée son corps endormi loin de moi. Il aimait se blottir tout contre moi au matin, pour faire du réveil un moment chaleureux d’entre-deux tendre et moite dont les caresses légères éveillent habituellement en moi de longs frissons de délices rêveusement savourées. Mais je n’étais pas d’humeur, vraiment.

À peine avait-il amorcé son mouvement pour me prendre dans ses bras que je me redressai, m’étirant le dos en l’écartant de la main. Il esquissa un geste prévenant, mais je m’échappais aussitôt sous la douche.

J’avais pas envie.

Envie d’être seule, de me retrouver.

Et puis j’aime ces moments seule sous la douche au matin. Pour tout dire, j’aime me doucher. Je m’y retrouve, je m’y redécouvre, c’est une manière de me dire bonjour. J’aime sentir la pression de l’eau caresser ma peau. J’aime tendre ma poitrine sous la chute, me laisser masser par chaque grappe de gouttes. J’aime prendre entre mes doigts le gel glissant et savonneux, passer mes mains sur mon corps. J’aime la vive caresse de ma main frictionnant ma peau. Certains matins, cette sensation charnelle prend un tour hautement érotique. J’aime la tension de mes cheveux pesant sous le jet. J’aime passer ma main dans mes cheveux trempés. J’aime passer ma main sur mon sexe, mes doigts s’aventurant tout contre les cuisses, puis tout contre les lèvres, retardant le moment d’effleurer le clitoris. Puis, après la revue intégrale au savon vient le rinçage, qui réveille plus encore. Et j’aime peut-être plus encore me rincer ; je décroche le pommeau ; le jet dans le cou, se déplace doucement, centimètre par centimètre, de l’épaule vers le sein, du sein vers le nombril. Puis les fesses, et les jambes enfin, qui m’amusent tant. Comme si, chaque matin, j’étais étonnée de les trouver si longues et si fines. Et le sexe bien sûr. Quand ce rituel prend fin, je me laisse aller complètement sous cette avalanche qui prolonge le plaisir du réveil, dans l’attente de la serviette qui couronnera la purification matinale.

Alors que, baissée vers mes jambes, je me séchais, je sentis une main chaude se poser sur mes fesses, sans aménité, comme on pose sa main sur une table ou comme on se saisit d’un objet. Je me retournai brusquement. Il était là, face à moi, nu, le sexe dressé et menaçant. Son visage était passif, presque indifférent. Il me considérait froidement, entièrement, comme si d’un seul regard il pouvait me voir toute entière et me pénétrer de ses yeux aciers.

« Sors, lui dis-je sèchement, je finis. »

Il ne bougeait pas. Il me regardait toujours. Ma bouche, mes seins, mon sexe, avec dans les yeux un éclat animal et mal réveillé. Sa queue toute rouge frémissait. Il m’effraya soudain. Je ne l’avais jamais connu comme ça. Je n’osais pas même le toucher pour le pousser hors de la salle d’eau, de peur de libérer la violence sauvage qu’il avait contenue tout ce temps et que je pouvais lire à présent sur son visage, dans le jeu de ses muscles tendus sous sa peau.

« Qu’est-ce que tu veux ? Va t’en ! Laisse moi tranquille, voyons… »

Il tendit sa main vers mon ventre, effleura ma poitrine, descendit vers mon pubis. Il y avait à présent quelque chose dans son regard d’extrêmement mystérieux, qui me fascinait et me dégoûtait à la fois.

« Bon, si c’est comme ça, c’est moi qui m’en vais. »

Je passai devant lui pour sortir de la salle de bain. À peine avais-je franchi le seuil que je sentis son bras me saisir par la taille. Il me précipita à plat ventre sur le lit et s’écrasa sur moi.

Tout se passa si vite. Je n’eus pas le temps de comprendre. J’eus beau protester que je n’en avais pas envie maintenant, qu’il fallait qu’il arrête car sinon ça irait mal pour lui, il persévéra avec une détermination sans défaut. D’une main, il me plaqua les bras sur le drap, ses jambes me tenant prisonnière sous lui, et il pesa sur moi de tout son poids. Je me débattais, j’essayais de le désarçonner, rien à faire. Dirigeant son sexe de sa main libre, il me pénétra avec une froide résolution et une étonnante facilité. Sans m’en apercevoir je m’étais excessivement excitée et mon sexe accueillait ce viol avec un bonheur insoupçonné. Car c’était un viol. Je me sentais battue, humiliée. Je le haïssais à ce moment-là plus fort que je ne l’avais jamais aimé.

Il s’enfonça plus profondément en moi, sans violence, mais sans me prêter aucune attention. Je sentis passer le gland. Puis le reste suivit, dans un mouvement qui me sembla interminable.

Il s’arrêta un instant, jouissant en maître de l’instant de sa conquête. Puis il commença son mouvement de va-et-vient, avec cette lente assurance que lui donnait sa totale domination.

Il prenait son temps, ne variait pas son rythme et ça ne faisait que gonfler ma rage. La colère montait. J’étais écumante. Et en même temps, je me sentais aussi comme paralysée par un plaisir inattendu. Je le détestais de me faire sentir aussi impuissante quant à ma jouissance. Impuissante à la contrôler, impuissante à la maîtriser. J’étais à sa merci.

Tout à coup, sans prévenir, il se retira. Etrangement, je ne bougeais pas. Il ne me tenait plus pourtant. J’étais libre. J’aurais pu m’enfuir. Je n’en fis rien. Je ne bougeais pas d’un pouce. Il posa à nouveau ses mains sur mes fesses, puis je sentis sa bouche. Il me mordilla un peu puis, capricieux, descendit vers mon sexe qu’il lapa derechef. Je ne bougeais toujours pas, ne me défendais pas non plus, ne réagissais pas. Je me sentais honteuse : j’avais terriblement envie qu’il me reprenne. Par esprit de contradiction, et comme s’il lisait dans mes pensées, il ne le fit pas. Pas aussitôt du moins. Et j’attendis ainsi, le sexe offert, comme une invite à laquelle il ne répondait pas pour mieux m’enrager. Réduite à mendier. Il m’exaspérait à prendre son temps comme ça. Puis il s’écarta et je sentis à nouveau son sexe me brûler, reprenant son va et vient imperturbable.

Enfin, il se vida en moi. À le sentir m’utiliser ainsi, l’orgasme me secoua, bouleversant de puissance et d’inattendu.

Il retomba sur moi.

Il me parut moins lourd — il s’appuyait de ses coudes pour ne pas m’étouffer.

Comme si, sa jouissance prise, son tact et sa délicatesse reprenaient leurs droits.

Comme s’il me retrouvait, redécouvrait qui j’étais.

Il est parti sans dire un mot après ça.

S’est habillé.

S’est coiffé.

M’a donné une petite tape sur les fesses comme il sait si bien les faire, accompagnée d’un petit bisou dans le cou dans lequel j’ai cru retrouver sa tendresse.

A fait comme si de rien n’était.

Et moi, je suis restée prostrée dans la position où il m’a laissée. Défaite, les fesses à l’air, les jambes encore empêtrées dans ma serviette de toilette. Pétrifiée, terrassée par un plaisir qui me dépasse.

Pendant toute la journée, la scène m’obséda. Des images, des sensations m’assaillaient sans prévenir. Au travail, pendant le déjeuner, en faisant mes courses, j’y repensais. Tantôt prise par une hideuse répulsion, tantôt par une intense jouissance. Basculais d’un sentiment à l’autre sans prévenir. Frissonnante dans tous les cas. Quelque chose en moi était entré en branle et ne s’arrêtait plus.

Le soir venu, j’allais chez lui. Je marchais comme une somnambule. Il fallait que je lui parle. Lui dire que c’était inadmissible, qu’il n’avait aucun droit de me traiter ainsi, que j’avais besoin qu’il me respecte un minimum.

Mais, alors que je passais et repassais mon petit discours dans ma tête, je me souvins de l’amant attentionné qu’il avait toujours été, de cette affection douce qu’il me dispensait dès que j’en ressentais le besoin, de ces multiples tendresses dont il m’entourait constamment. Etait-il possible que ce fut la même personne ?

À mesure que je gravissais les escaliers vers son appartement, l’appréhension monta, aussitôt mêlée d’un désir indistinct, inarticulé.

J’ouvris sans bruit la porte d’entrée. Je voulais le surprendre à mon tour. Je jetai un coup d’œil vers le bureau. Personne. Personne non plus dans le salon. Il devait être dans la chambre. Je poussai la porte. Il était allongé dans son lit. Il avait l’habitude de faire un petit somme à cette heure-là, mais cette fois, il s’était déshabillé. Allongé sur le ventre, il tenait entre ses bras l’oreiller sur lequel sa tête reposait. Le drap défait découvrait son dos et sa fesse droite. Retirant mes chaussures, toujours sans bruit, je m’assis sur le lit et écartait encore un peu plus le drap.

De voir ces fesses ainsi sans défense, livrée à mon bon vouloir, je fus soudain pris du désir masculin de le violer à mon tour. Je tendis la main et la posai en bas de son dos, descendant doucement vers les deux globes blancs et fermes. Je les caressai, les pétris, en pris possession. Pendant ces quelques minutes, elles furent à moi seule. Tout à coup, dans son sommeil, il se retourna et son sexe se dressa sous mon nez.

Sans réfléchir, je le pris aussitôt dans ma bouche. Je trouvais aussitôt un plaisir nouveau à jouer avec son sexe, que j’embrassais goulûment. C’était une forme d’offrande, de bon cœur, sans arrière pensée. Je m’y donnais sans souci, laissant mes mains s’aventurer où bon leur semblait, sur sa poitrine, sur ses cuisses, sur son sexe que j’embrassais encore et encore. Je ne levai même pas les yeux vers lui, pour voir si ma gâterie lui plaisait ou s’il s’était réveillé entre-temps. Je m’en fichais. C’était pour moi que je le faisais. Ça devenait un plaisir exclusivement égoïste.

Ça s’arrêta là. Je ne fis rien d’autre. Quand j’eus fini, je me levai sans un mot, sans lui accorder un regard, et je sortis.

Je ne vins le rejoindre qu’après dîner. Je me glissai dans le lit à ses côtés et il me serra entre ses bras avec une intensité et une chaleur que je ne lui connaissais pas encore. Je m’endormis dans une plénitude ouatée.

Un soir, deux jours plus tard, il me surprit en bas de chez moi, bien habillé. Je ne l’attendais pas là. Il m’embrassa sans répondre à mes questions et m’invita à aller me préparer pour sortir. « Je t’emmène au restaurant. »

La soirée fut belle, romantique. J’ai toujours aimé sortir à son bras, nous promener ensemble, discuter pendant des heures avec ces éclairs dans le regard qui me faisaient chaud au ventre, dans la hâte non dite de les assouvir.

Nous sortîmes bien imbibés et gais du restaurant et nous engageâmes aussitôt dans l’une de nos habituelles promenades.

Il avait passé son bras autour de ma taille et je me laissais aller sans arrière-pensée à ce geste protecteur qui m’avait si souvent paru paternaliste — ce n’était plus que tendresse.

Les rues étaient vides et je ne dis rien lorsque sa main descendit sur mes fesses et se mit à les caresser sans en avoir l’air. Je ne dis rien non plus quand sa caresse se fit plus insistante, se frayant un chemin sous le tissu léger de ma jupe.

Et je restai encore silencieuse lorsqu’il nous arrêta brusquement et m’embrassa fougueusement. Puis il m’entraîna plus loin pour m’embrasser de nouveau, plus ardemment encore. Je ne savais que penser. Je souriais, curieuse de la suite. Un peu interloquée, affichant un sourire bienveillant et dubitatif, je suivais intriguée sa manœuvre que je ne l’imaginais pas capable de mener à bout, comme ça, en pleine rue. En même temps, derrière ce flegme l’air de dire je vois où tu veux en venir, même pas cap’, j’avais hâte de rentrer. J’avais envie de lui, ça faisait presque mal.

Soudain, il me prit par le bras, me fit traverser la rue — en dehors des clous — et, me poussant dans le creux d’une fenêtre basse sur la rue, me colla contre la vitrine d’un antiquaire. Derrière il y avait un lit à baldaquin drapé de velours écarlate qui rayonnait sous les spots adoucis.

Bravant tous les interdits, il me prit par les hanches et me souleva pour me poser sur le rebord de la fenêtre. Dans le même geste, il se plaça entre mes jambes et retroussa ma jupe, couvrant tout mon corps de son buste puissant.

Je ne résistai pas et j’éclatai d’un rire de plaisir lorsque je sentis son sexe chaud braver l’air froid de la nuit pour se presser sur le mien, qui n’attendait que ça.

Par dessus son épaule, au-delà du passage clouté, je pouvais voir notre reflet dans la vitrine d’en face. Son dos et ses jambes, les miennes lui enserrant la taille, ma main sur sa nuque et mon visage réjoui.

Notes de travail sur Et puis quoi encore ?

E., ses « non », ses peu d’encouragements apparents au début, qui sont justement des invitations « Convaincs moi un peu mieux encore ».

Ses jeux de lassitude.

Son plaisir finalement, dont elle ne se lasse pas, qu’elle ne comprend pas tant il est fort et apparemment jamais assouvi même quand il l’est. Le plaisir réalimente chaque fois son désir, sensation nouvelle, inattendue.

Reprendre aussi les moments incompris de son désir à elle.

Autres points de départ.

… et comprit. C’était un magasin de matériel vidéo et, comme souvent dans ce genre d’étal, tous les sets de télévision étaient branchées sur une seule et même chaîne. Ce visage qui se répétait, multiple et tapissant la paroi de verre, c’était le sien.

Il changeait, reflétait toutes les mimiques possibles, les moues stupides et les grimaces de plaisir, en passant par l’indifférence, l’intellectuel pénétré, la peine, le soulagement, et même encore ce masque qu’il travaillait consciencieusement tous les matins pour faire le beau.
Ça avait commencé quelques semaines plus tôt. Les regards féminins s’étaient faits plus insistants, etc.

Jeu télévisé : mettre au défi les femmes de le séduire. En rapporter la preuve.

… et comprit. Car ce n’était pas son reflet, qui le contemplait avec un air ahuri, c’était bien lui qu’il regardait. C’était la devanture d’un de ces magasins de matériel télé et son image était répétée au moins une vingtaine de fois. De prime abord, il songea à une caméra, habilement dissimulée quelque part entre les écrans plats cent pouces et les vidéos projecteurs, mais il s’aperçut vite, malgré la légère brume éthylique qui lui troublait les esprits, que cette image n’était non seulement pas en temps réel (en bougeant, on s’en aperçoit vite), mais ne datait pas non plus de ce jour-là : la coiffure était différente, les vêtements également, jusqu’au soleil enfin, qui brillait de tous ses feux sur sa peau blafarde découverte alors qu’en cette soirée humide, il était frileusement emmitouflé.

Puis l’image changea et il resta bouche bée devant un ballet d’instantanés de son visage en gros plan, plan américain, de profil, droite, gauche, de trois quart, en contre plongée, de dos, gros plan sur ses pieds, ses épaules. Quand on arriva à ses fesses, il commença à s’inquiéter. Tout se déroulait dans un parfait silence, mise à part les quelques voitures hurlant leur palliative puissance virile sur le boulevard. Aucun son ne s’échappait du magasin.

Ces photos avaient été prises en diverses occasions, depuis plus de deux ans — il pouvait le voir à une cicatrice, tour à tour absente ou encore vide, à un cycle tout relatif de bronzage et de longueur de cheveu. Chacune correspondait à une période particulière de sa vie, étroitement liée à certaines jeunes femmes, voire jeunes filles.

Tiens, celle-ci, par exemple, c’était, voyons voir…

Et pourtant, comme le lui répétait inlassablement la vitrine, avec un manque de tact caractérisé, il n’était pas si beau, limite séduisant, et encore, peut-être mignon ?

Que lui avait-elle dit, déjà ? Il ne s’en souvenait plus mais il comprenait à présent qu’il y avait là des tas de sous-entendus pas très catholiques (plus cathodiques que catholiques en tous cas).

Ça peut aussi être une peinture, pour laquelle il a posé ? Ce qui permettrait de dire autre chose, de parler d’un modèle masculin, for once, qui se ferait abusé par une artiste peintre, cette fois-ci.

Ça peut être assez drôle aussi, mais… mais… Cette première phrase a de toute façon quelque chose en elle d’intrinsèquement cynique, et même blessant, si on considère certains aspects de l’exercice. En tous cas, c’est compliqué.

Il y a bien aussi la nouvelle de Vian sur le brouillard opaque et aphrodisiaque. Mais je ne peux pas reprendre ce motif, pour deux raisons : 1. Je ne veux pas lui piquer ses idées et 2. Il y a trop d’indications visuelle dans cette première phrase. Ou alors, je peux utiliser le rêve — ou même une réalité : il s’aperçoit qu’il est tout nu, ou que sa braguette est ouverte, ou qu’il y a dans son apparence physique un changement notable et anormal (signes extérieurs d’une virilité extraordinaire ? apparition de tétons ? grosse bosse dans le pantalon ? maquillage ?). On peut être dans une société matriarcale et les hommes sont le sexe faible. Déjà fait, certes, mais pas forcément dans une nouvelle érotique, et pas forcément en parachutant ainsi un homme de notre monde dans celui-ci…

Tout un univers à réinventer. « Vous, les femmes, vous pensez qu’à vos bagnoles et au foot ! alors bon… » Il a une aventure avec une autre femme, qui s’intéresse à lui, qui n’est pas — trouver un terme équivalent à « macho ». L’autre, sa femme, prend son plaisir et le laisse sur sa faim, pleine de bières et de nullité crasse. Marrant ça… Je suis sûr que ça a déjà été fait. Il faut le faire avec la plus grande désinvolture possible, être un peu stupide et un peu grossier. Y aller à fond dans la comédie. Le problème est qu’on s’écarte drôlement de l’exercice, encore une fois, qui était, faut-il le répéter, une « nouvelle érotique ».



Dernier ajout : 20 mars. | SPIP

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