Accueil > Un roman trop ordinaire > Histoire de Marc — I

Histoire de Marc — I

lundi 22 décembre 2008, par Jérémie Szpirglas

Bonjour, je m’appelle Marc. Ce roman parle de moi et raconte mon histoire.

L’AUTEUR — Hé ho ! Tu trouves pas que t’abuses un peu : ce roman, c’est mon roman.

MARC — Et depuis quand ce serait ton roman ?

L’AUTEUR — C’est moi qui ai eu droit au premier chapitre, non ? J’étais là en premier, premier personnage à avoir la parole, tout ça, c’est à propos de moi. Ça raconte MA tragédie. Non mais sans blague.

MARC — Ça ne veut rien dire : je pourrais te citer des dizaines de romans où le premier personnage présenté est complètement anecdotique, alors tais-toi et reste à ta place.

L’AUTEUR — Ah non, et puis quoi encore : sans moi, rien de tout ça ne serait arrivé, que je sache.

MARC — Sans moi non plus. À ce compte-là, on pourrait dire que ce roman parle de Stuart, de Sarah ou de Chiara.

CHIARA — J’ai rien dit, moi : ce roman parle de moi, c’est vrai, mais j’ai rien dit. Alors n’essayez pas de m’embarquer dans vos histoires et vos disputes, y en a marre de vous deux à la fin.

L’AUTEUR — Peut-être mais tu seras d’accord avec moi pour dire que c’est moi le personnage central de l’histoire, le personnage pivot.

PATRICK — Par qui le malheur arrive, c’est ça ?

MARC — Oh toi, on t’a pas sonné. Quant à toi, l’Auteur, si c’est tombé sur toi, c’est complètement par hasard, alors arrête de m’emmerder. Je continue.

Donc, je répète, je m’appelle Marc et ce roman parle de moi et ra-conte MON histoire. Et vous, les autres, vos gueules. Je vais essayer de me décrire un peu, pour que vous vous fassiez une idée, sans en rajouter ou m’embellir plus que de raison. J’ai la quarantaine élégante : pas d’embonpoint, les tempes qui grisonnent, le visage qui s’est affermi, c’est à peu près tout ce que les années ont laissé sur le corps de mes vingt-cinq ans. On me dit généralement séduisant, attirant et spirituel. Je passe pour un être assez brillant et cynique, les gens osent rarement gratter plus loin. Personne ne cherche à me cerner véritablement et je dois avouer que ça me convient assez bien. Aussi, je laisse dire, l’air de rien, mais j’en pense pas moins.

Pour vous en dire un peu plus, je suis éditeur. Je suis même directeur de ma maison d’édition. Je ne vous raconterai pas comment j’ai atterri ici, je ne vous ferai pas le récit de mon enfance et de ma jeunesse. Je ne suis pas si égocentrique.

(Rumeurs désapprobatrices)

Ce n’est pas une grosse maison, nous ne sommes pas dans le business des prix littéraires, nous occupons une petite niche : les maisons moyen-nes. On s’en sort pas mal. Enfin, ça dépend des moments.

Il y a trois quatre ans, par exemple, ça allait assez mal. Nos auteurs marchaient bien, on vendait très convenablement, mais c’est parfois in-suffisant pour garder la tête hors de l’eau.

Et il y a trois quatre ans, j’étais vraiment dans la mouise : les créan-ciers insistaient, menaçaient de saisir la justice : la maison croulait sous les dettes et le bilan menaçait de se déposer tout seul, sans qu’on lui ait rien demandé.

Il y avait aussi, pour être parfaitement honnête (je dis rarement ces mots en le pensant, alors savourez cet instant), quelques indiscrétions de ma part. Rien de grave. Juste quelques malversations, mais je me voyais mal avec un agent du fisc ou quelqu’autre enquêteur bouffe-livre avec ses ronds de cuir cousus aux coudes venir fouiner dans mes affaires.

Ce matin-là, j’avais reçu une lettre de mise en demeure. Ça n’était ni la première (et ce ne fut pas la dernière), mais elle avait un ton tout particulier d’autorité, de menaces et d’arrêté.