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« With a limp »

mardi 16 juin 2009, par Jérémie Szpirglas

Personne ne sait ce qui s’est passé, comment c’est arrivé, ni pourquoi. Un jour, tout le monde s’était mis à boiter. Comme ça, du jour au lendemain, de droite ou de gauche sans distinction, on s’était levé un matin et, sans effort ni douleur, on boitait, comme si on avait fait ça toute notre vie. Au bout de quelques semaines, toutefois, plus personne ne s’en étonnait, on acceptait ça comme une nouvelle normalité, c’est tout — un tour de plus que la vie nous jouait, comme l’appendice ou le fait qu’on ne sait pas voler.

D’abord discret, le phénomène s’était amplifié et, en quelques jours à peine, il avait atteint un plateau, une asymptote et s’était mis à stagner là comme si de rien n’était.

Quelques hypocondriaques contractèrent une profonde dépression — ou, plutôt, prirent ce prétexte pour contracter une profonde dépression —, persuadés d’un cancer infectieux quelconque, quelques narcissiques se suicidèrent, de nombreux fanatiques, extrémistes et apocalyptiques de tous bords y virent un signe divin, les prophètes se multiplièrent en quelques semaines pour s’évanouir ensuite l’oubli général, quelques scientifiques se penchèrent sur le problèmes pendant les mois suivant l’arrivée du phénomène puis, la grande majorité s’y adaptant sans trop de problème — certains, même y trouvèrent leur bonheur — ils abandonnèrent leurs recherches.

Bref, à quelques exceptions près, tout le monde y trouva rapidement son compte. Ça simplifiait les choses, et, en ces temps de crise, la relance était venu en un rien de temps : les chausseurs à eux seuls, faisant fortune, firent tripler le PIB de tous les pays du nord — et que dire des équipementiers de sport, et de tous les BTP engagés à faire les ajustements nécessaires. Les militaires, n’arrivant plus à marcher tranquillement au pas ou à courir sous les balles, cessèrent de s’entretuer — ou s’entretuèrent tout à fait — mais, d’une manière ou d’une autre, tous les conflits trouvèrent leurs résolutions dans l’infinie paresse que le boitement instillait en chacun face à des efforts violents.

Les créateurs de mode sublimèrent quant à eu le phénomènes, découvrant dans ce déhanchement irrégulier et bancal un formidable générateur de plis et volumes éphémères qui devint rapidement une source inépuisable d’inspiration, pour eux comme pour les artistes.