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Jeudi 9 avril

Dayénou !

jeudi 9 avril 2020, par Jérémie Szpirglas

Hier soir, pendant le dîner, mon fils aîné m’a interrogé.
« Qu’est-ce que Pâques ? Qu’est-ce qu’on fête ? »
Il ne parlait pas de chocolat : ça, il connaît, il comprend. Non, il parlait de Pessah, que l’on venait d’évoquer avec sa mère.
En un instant, je me suis trouvé dans le rôle du patriarche de cette pièce millénaire que l’on joue chaque année au cours du seder [1] : celui qui, interrogé par son benjamin curieux, raconte la sortie d’Égypte.
Alors je lui ai parlé de tout ou presque : des hébreux réduits en esclavage par Pharaon (« Ils construisaient les pyramides ? s’enquiert-il »), de Moïse (je suis allé un peu vite, je n’ai pas parlé de son sacrifice initial, il a déjà beaucoup trop peur de l’abandon), des dix plaies d’Égypte (j’avoue, non seulement je n’ai pas réussi à me souvenir de toutes, mais, en plus, j’ai à nouveau eu peur de le traumatiser, surtout avec la mort des premiers nés — et puis la pandémie que nous vivons ne ressemble-t-elle pas terriblement à une plaie ?), de la fuite (pas eu le temps de parler du pain non levé : les questions furent trop nombreuses pour s’y arrêter), de la traversée de la Mer Rouge…
Et nous nous sommes arrêtés là. Cette histoire de Mer Rouge qui s’ouvre pour laisser passer les hébreux et se referme sur les armées de Pharaon lui a paru bien trop incroyable. Ce qui m’a amené à essayer de relativiser pour lui les légendes, avancer d’autres hypothèses pour cet épisode : une marée basse exceptionnelle, sous un anticyclone avec sècheresse, avec un phénomène de vent et éventuellement des vases mouvantes — qu’en sait-on. « Et c’est à cause des armées de Pharaon qu’on l’appelle Mer Rouge ? » Et me voilà à nouveau parti sur les différentes hypothèses quant à la toponymie des mers et autres lieux remarquables — ce qui nous a conduit à parler de réchauffement climatique, nous éloignant irrémédiablement de l’errance dans le désert (même si, ce n’est pas si éloigné), du veau d’or, des tables de la loi et de Canaan.
Quelle n’a pas été ma surprise toutefois, après coup, de voir ainsi mon aîné perpétuer une tradition dont il n’a sans doute même pas conscience… Cela m’a touché — cette curiosité, cette appétence, cette manière, aussi, de mettre en branle son imagination autour d’une histoire aussi souvent ressassée.
Peut-être qu’un jour se développera une nouvelle religion, qui parlera de l’errance de son peuple élu en confinement…
Si tu nous avais seulement envoyés le virus… Dayénou !
Si tu nous avais seulement confinés… Dayénou !
Si tu nous avais seulement libérés… Dayénou !


[1et je tiens à préciser que je n’avais aucune idée que ce mercredi 8 avril était effectivement le soir du seder !