Accueil > The Virus Diaries > Samedi 25 avril

Samedi 25 avril

Ne change rien

samedi 25 avril 2020, par Jérémie Szpirglas

C’est la grande question. Qu’est-ce que tout ce ramdam va changer. À tous les degrés : écologique, macro-économique, géopolitique, micro-économique, politique, social, amical, familial, humain. Chacun y va de sa réponse, entre espoir, illusion et pragmatisme le plus sec.
Je n’ai pas la réponse. Une chose tout de même, que j’ai pu constater à mon échelle, celle des individus — et encore, pas tous les individus, mais ceux que je côtoie. Passée la sidération, passée la colère, passée l’acceptation — et quelques autres étapes qui ressemblent quand même fichtrement à celles d’un deuil —, j’ai le sentiment que — exactement comme un deuil d’ailleurs —, les personnalités ne sont pas fondamentalement changées, ni même ébranlées. Rares sont les fissures.
Les sorties des puissants (présidents de tout poil, patrons, etc.) semblent suggérer qu’ils n’ont pour la plupart pas bougé d’un iota de leurs positions antérieures, la crise venant paradoxalement comme confirmer leurs visions pré-acquises, et ils l’affrontent avec les outils qu’ils connaissent déjà, éprouvant un mal de chien à en imaginer de nouveaux — de nouveaux qui, au reste, ne seraient pas nécessairement plus adaptés : mais que faire sinon tenter ?
Mais, plus près de moi, les pervers narcissiques sont toujours des pervers narcissiques, les méchants sont toujours des méchants, les mesquins sont toujours des mesquins, les grossiers sont toujours grossiers. Certes, les gentils semblent plus gentils, les prévenants plus prévenants. Les sourires qui auparavant émergeaient fugitivement sur le visage d’un passant croisé, lorsqu’ils voyaient nos enfants par exemple, se font plus francs, voire généreux, s’accompagnant à l’occasion d’une petite parole lumineuse. Mais les portes de prison le sont plus encore également. Les réactions violentes (verbales par exemple), qui restaient autrefois cantonnées à quelques instants désagréables, sont à présent exacerbées — surtout dans les queues qui se sont rallongées, en temps comme en distance. Les remarques autrefois acrimonieuses sont à présent ouvertement détestables — le sentiment de vexation étant renforcée encore par la réflexion que l’on se fait : « Mais pourquoi, dans les circonstances actuelles, ces gens s’accrochent-ils ainsi à leurs aversions et égoïsmes ? Comment est-ce possible ? »
Bref, cette crise ne changera rien. Rien de rien. Et c’est encore plus tragique que le reste.
On a le sentiment d’être Cassandre. Ou de voir une énième fois une tragédie grecque se dérouler sous nos yeux : et oui, cette fois encore, Œdipe tuera son père, épousera sa mère, la peste s’abattra sur Thèbes. Pas le choix.
Voilà pour la pensée du jour : l’histoire de l’humanité comme tragédie prévisible et irréversible. Espérons que l’optimisme me revienne demain. Car ma nature n’est pas pessimiste, elle est duale. Ça dépend des jours. Et elle n’a pas changé, non plus. Je continuerai à être attentif aux autres, je continuerai à aimer ce que j’aime, à ignorer ce que je n’aime pas. Je suis finalement comme les puissants dont je parlais à l’instant : tout ce ramdam ne fait que me confirmer en tant que ce que j’étais déjà. Et j’espère que c’est quelqu’un de bien, c’est tout.


écrit en écoutant la Suite en ré mineur de Sainte Colombe.