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Et puis on s’habitua — Chapitre 4
Les intelligences artificielles connaissaient ce principe des marieuses par deux biais différents. D’abord par toute la littérature agronomique qu’elles avaient pu engranger au fil des ans, que ce soit par le biais de leurs créateurs, ou par leurs propres recherches — ce qui, par ailleurs, leur avait permis d’adopter l’approche raisonnée de la recherche d’un équilibre au sein des nouveaux écosystèmes. Ensuite grâce la littérature tout court, où les mariages arrangés, marieuses et autres conseillères matrimoniales sont légion.
Rapidement, elles s’aperçurent que la première était plus riche d’enseignements que la seconde, surtout si l’objectif était de rendre sa vivacité au genre humain, et sa richesse son patrimoine génétique. En revanche, la seconde s’avéra assez inutile lorsque les machines voulurent passer l’action : elles croyaient y trouver les moyens de concrétiser les unions, mais l’absence de toute sociabilité naturelle au sein des populations représentait un obstacle qui parut au premier abord insurmontable.
La première étape fut donc de déterminer les couples potentiels les plus compatibles et présentant la plus grande efficacité de régénération de l’espèce. Pour cela, elles parvinrent établir les profils génétiques de l’essentiel des individus en récupérant, grâce aux drones nettoyeurs qui peuplaient les intérieurs, un cheveu par-ci, une dent par-l , ou quelques lambeaux d’épiderme égarés malencontreusement.
Le plus facile, ensuite, aurait été de susciter des rencontres de proximité — mais si l’on se contentait chaque fois d’un rayon d’action réduit autour de chaque sujet, les patrimoines génétiques étaient eux-mêmes bien trop proches.
Tentées par le principe d’insémination artificielle, les intelligences artificielles conçurent alors des drones spécifiquement pour cette tâche : récupérer le sperme d’une part, et l’introduire dans la matrice de l’autre. Mais le peu d’enthousiasme et de coopération rencontré chez les sujets visés mena rapidement l’expérience l’échec. Sans compter que les rares qui s’y prêtèrent se lassèrent au bout de quelques essais infructueux.
N’ayant pas volé leurs noms, les intelligences artificielles en déployèrent alors des trésors pour unir les couples. Elles détraquèrent volontairement les drones de livraison, les appareils de communication, elles créèrent des boulevards dans les forêts urbaines pour faciliter les déplacements, elles s’inspirèrent des archives des publicitaires pour inventer des millions d’histoires qui devaient servir d’appât, attirer les sujets dans leurs rets et les mener dans des nasses couples.
Peine perdue. Certes, on a pu voir quelques individus quitter leurs tanières pour s’aventurer au-dehors. Mais quand leurs yeux blessés par le soleil, ou leur peau trop sensible aux intempéries, ne les repoussaient pas, quand, par miracle, ils parvenaient être mis en présence de leurs promis•e•s, alors soit le courant ne passait pas — que ce soit par différence d’âge ou de go »ts, ou toute autre raison —, soit les fonctions reproductives n’étaient plus ce qu’elles étaient. Une fois ou deux, tout sembla se passer merveille — mais les individus ne parvinrent pas conclure, ils ne savaient pas comment.
Mettant tous leurs espoirs dans la loi des grands nombres, ne connaissant ni la fatigue, ni le découragement, les intelligences artificielles continuèrent sans relâche leurs expériences.
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